Retour à l'accueil






Gyles BRANDRETH


Oscar Wilde et le cadavre souriant



Après Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles et Oscar Wilde et le jeu de la mort, Gyles Brandreth prête à nouveau sa plume à Robert Sherard, l’ami et le biographe de l’écrivain, pour relater une aventure survenue pendant la jeunesse de ce dernier, alors auteur d’un unique recueil.

En 1881, Oscar Wilde embarque pour les Etats-Unis où il va donner une série de conférences. Il se lie là-bas avec Edmond La Grange, célèbre comédien français lui aussi en tournée avec sa troupe, qui lui commande une nouvelle traduction d’Hamlet. Les deux hommes repartent pour la France en 1882 à bord du SS Bothnia, qui devient le théâtre d’un incident tragi-comique quand Marie-Antoinette, le caniche de Liselotte La Grange, mère de l’acteur, est retrouvée morte dans la valise d’Oscar sous une épaisse couche de terre. Quelque temps plus tard, à Paris, c’est Washington Traquair, l’habilleur du comédien, dont on découvre le cadavre dans un réduit attenant à la loge de son employeur. Dans le même temps, Oscar échappe à un accident peut-être provoqué, puis à une agression, qui auraient pu tous deux lui coûter la vie. Faut-il croire à de regrettables coïncidences ? Le poète résume ainsi la situation : « Je suis assailli de questions et je n’ai aucune réponse. Que se passe-t-il ? Qui cherche à me tuer ? Et pourquoi ? Veut-on d’ailleurs vraiment m’assassiner, ou n’essaie-t-on pas plutôt de m’intimider ? Et ces attaques dont ma pauvre personne fait l’objet, ont-elles un rapport avec la mort mystérieuse de l’infortuné Traquair ? Et que dire de ce malheureux chien enterré vivant dans ma malle sur le SS Bothnia ? La si peu regrettée Marie-Antoinette est-elle mêlée, d’une façon ou d’une autre, à ce qui s’est produit ce soir ? » De fait, ces événements préludent à une succession de morts violentes dont l’explication ne sera bien sûr révélée qu’à la toute fin du livre, grâce à la pénétration de l’écrivain dandy.

Dans ce livre plus encore que dans ceux qui le précèdent, l’intérêt tient moins à l’intrigue policière qu’à la peinture des personnages et du monde dans lequel ils évoluent. Oscar, alors à ses débuts, a déjà cette personnalité flamboyante et charismatique qui fascine tous ceux qui l’approchent et qui fait de sa vie un spectacle permanent. Il sait comme personne transformer un passage à la douane en scène de comédie : « Quand nous sommes arrivés à Douvres, écrit-il à Robert, j’étais au bord du désespoir. A la douane du port, j’ai fait patiemment la queue et quand mon tour est arrivé de faire inspecter mes bagages, sans réfléchir, j’ai répondu au préposé qui me demandait si j’avais quelque chose à déclarer : "En effet. Je déclare que la presse est illisible et que la littérature n’est pas lue. Le temps des philistins est venu". Le pauvre homme, qui s’apprêtait à marquer mon sac à la craie et à me faire signe d’avancer, m’a regardé sans comprendre en clignotant des paupières. »

Le roman tout entier, ponctué par les répétitions d’Hamlet, est d’ailleurs placé sous le signe du théâtre et des faux-semblants – faux-semblants dont seul le chapitre final révélera l’ampleur – dans un Paris fin de siècle où les milieux littéraires et artistiques cultivent un décadentisme provoquant et propice à tous les excès. L’attraction la plus prisée n’y est autre que la « Salle des morts », immonde galetas tenu par un cabaretier qui le fait visiter moyennant finances : « De façon à éclairer un à un chaque recoin, l’aubergiste entreprit de décrire un cercle avec la chandelle qu’il tenait à bout de bras au-dessus de lui. (…) La vision qui s’offrait à nous révulsait le regard et déchirait l’âme. Gisant dans toutes les attitudes de l’inconfort et de la souffrance, beaucoup assommés par l’alcool, la plupart présentant plaies purulentes, membres mutilés ou stigmates de maladies, tous vêtus de guenilles crasseuses ou puantes, les résidents de la Salle des morts, avec leurs visages livides, inertes, aux yeux clos, ressemblaient en vérité à des cadavres. »

Toutes les distractions ne sont cependant pas aussi morbides, et l’on se plait à pénétrer dans le « nid d’amour » raffiné dont La Grange prête la clef à Oscar et à ses amis. Un buste d’ Epicure y trône, rappelant le goût du plaisir que partagent les habitués du lieu. Mais, quoiqu’il se réclame de lui, Oscar s’éloigne de la modération prônée par le philosophe grec, comme le prouve sa maxime favorite : « Je veux goûter chacun des fruits de chacun des arbres du verger du monde. », ce qui inclut « la vie et le vice, les instincts les plus bas et l’intelligence la plus haute », dont Paris est le théâtre d’élection.

En compagnie des héros, le lecteur fréquente aussi les personnalités les plus célèbres de l’époque, dont le portrait est tracé avec beaucoup de vraisemblance : l’extravagante Sarah Bernhardt, le poète Maurice Rollinat, auréolé de la gloire que lui a value la publication des Névroses, et le peintre Jacques-Emile Blanche peuplent ainsi des pages dont on savourera le pittoresque avec une vive délectation.

Sylvie Huguet 
(21/02/10)    



Retour
Sommaire
Noir & polar










10/18
"Grands détectives"

420 pages
13,50 €


Traduit de l'anglais
par
Jean-Baptiste Dupin





Gyles Brandreth,
est journaliste, producteur de théâtre, homme d'affaires, acteur... Inconditionnel d'Oscar Wilde, il a su restituer le génie du personnage dans cette série publiée dans quatorze pays..




Vous pouvez lire
sur notre site
des articles concernant
d'autres romans
du même auteur :

Oscar Wilde et
le meurtre aux chandelles


Oscar Wilde et
le jeu de la mort