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Antoine CHOPLIN

Cour Nord


Cela se passe quelque part dans le Nord. Il pleut, il vente, il fait froid. On est au début des années 80 mais cela pourrait très bien se passer aujourd'hui.
Plus encore que le temps, une atmosphère pesante plombe la petite ville. Le personnel d'une usine menacée de fermeture est en grève depuis dix-sept jours, les ouvriers qui l'occupent attendent une ultime négociation avec la direction. Le père et le fils y travaillent. Des gens simples qui, depuis la mort de la mère, vivent seuls, silencieux. Au lever, ils n'échangent pas un mot mais selon un rite d'affection silencieuse, ils se font un geste de la tête. Ces deux là ne partagent plus grand-chose depuis longtemps.

Le père, délégué syndical, est prêt à tout pour défendre l'unité de production menacée de fermeture laissant des centaines d’ouvriers à la rue. Une usine qui ferme c'est une ville qui meurt. Face à lui, pour qui ce lieu représente toute une histoire personnelle, une vie de labeur mais aussi de solidarité et d’engagement, le fils, Léo, regarde ce qui se passe avec une certaine indifférence. Trompettiste dans un quartet de jazz local composé de copains, il ne voit dans son travail qu’une activité alimentaire temporaire et ne participe que très mollement à la grève. Investi totalement dans les répétitions du soir, tendu vers ce premier vrai concert programmé à Lille prochainement, sa tête est ailleurs…

Un monde s'écroule, un autre se cherche. Le militant aurait souhaité un fils engagé à ses côtés dans le combat quand le jeune homme constate avec regret le désintérêt du père pour ses projets artistiques. La distance s'installe.
Chacun se replie dans le silence sur sa vie ou ses rêves. Entre les deux, il y a aussi un grand vide laissé par la mort de l'épouse, de la mère.

Après l’échec des négociations, le père, prêt à mourir pour défendre son outil de travail et ce monde ouvrier auquel il est viscéralement attaché, s’engage dans une grève de la faim. Seul face à ses camarades qui, désabusés, baissent déjà les bras, il s’installe avec détermination sur un matelas dans la Cour Nord.
Léo, l'observe gêné et prend le large. Il sort et suit du regard les avions qui survolent l'endroit. Peut-être vont-ils à New York où son copain Gasp est allé récemment assister aux funérailles de Thelonious Monk, volant pour financer son voyage les économies péniblement accumulées par ses parents en prévision du pire à venir.
Léo ira ensuite traîner « Chez Fanny », le bar des habitués, à la lisière du site.

On assiste à travers le geste désespéré du vieil ouvrier à la fin d’une époque, d'une génération symbole du monde du travail et de la lutte sociale. Vaine sera l'action du père : malgré l'aggravation de son état, l'intérêt temporaire des médias et l'hospitalisation d'urgence, l'usine fermera à la date prévue. Sans rémission. Y-a-t-il une vie après l'usine ?

Au bistrot, le nez dans la bière, la jeunesse qui n'a pour perspective que le chômage, rêve d’un ailleurs : Léo, de musique ; l'ouvrière prénommée Nadine de l'oisellerie qu'elle tente de négocier à la frontière belge ; le collègue du service entretien prénommé Ahmed voudrait, lui, retourner vivre chez lui au bord de la mer ; Vincent, un des copains du quartet, projette d’installer des pistes de ski sur le terril de Nœux-les-Mines. L'avenir ?
Dans un contexte de crise de l'emploi et des valeurs politiques, de l'étiolement de la solidarité de classe, quel sens donner à la lutte ? Quels espoirs partager ?

Une histoire ancrée dans la réalité des humbles, de ceux que la grandz machine économique relègue en marge. Plus qu’une incompréhension personnelle, c'est un mal-être général dû aux mutations sociales qui s'est installé entre les deux protagonistes, chacun symbole de sa génération. Que reste-t-il aux anciens qu'ils pourraient avec fierté transmettre à leurs enfants ? Que peuvent-ils comprendre tous à ce monde en mutation qui les exclut ?

Si à travers ses personnages, Cour Nord dépeint la disparition d’un monde, avec ses valeurs – avoir un travail, un logement, être solidaire, se battre pour défendre ses droits – ses désillusions, ses contradictions et son désarroi, on y trouve aussi la vie qui pousse, les rêves, les petites joies.

Ici, parallèlement à l'élaboration d'un récit social et réaliste, Antoine Choplin, avec la mise en place d' une ambiance forte où baignent des personnages sensibles dont il suit avec retenue et respect le cheminement, se livre aussi à une véritable exploration de l'imaginaire humain. C'est avec délicatesse et tendresse, par petites touches impressionnistes, entre ombre et lumière, en variant les tempos successivement doux ou rageurs, qu'il nous fait ce double portrait père-fils.

Ce livre parfaitement construit, structuré en quatre mouvements, est porté par une langue simple à tonalité orale avec de nombreux dialogues dynamiques et rythmés. Mais, face au duo musical des deux protagonistes, s'installent en contrepoint de courts passages descriptifs au style dépouillé, nourri de silences et de répétitions entêtantes, qui esquissent avec pudeur et finesse ce qui les entoure ou les agite. Ce contraste entre la dureté et la noirceur de la situation et la luminosité produite par les images et la musicalité de l'écriture confère au roman une force évocatrice troublante et émouvante.
Loin du pamphlet ou du roman noir, ce texte court et singulier s'attache essentiellement, derrière la peinture du fait social, au quotidien des sans-voix, à l'humain dans son mystère, sa dignité et son énergie vitale.
Fort comme une chanson réaliste qui resterait en tête et qu'on a envie de partager.

Dominique Baillon-Lalande 
(20/03/10)    



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Editions du Rouergue

Collection La Brune
130 pages, 13,50 €








Antoine Choplin,
né en 1962, vit dans l'Isère. Depuis 1993, il a publié une dizaine de livres dont certains ont été repris en collection Pocket.











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