Retour à l'accueil






Pascal GARNIER


Comment va la douleur ?



Simon, spécialisé dans « l'éradication des nuisibles », effectue son sale boulot sans passion mais consciencieusement. Usé, rongé par une maladie incurable, il part en mission dans le sud de la France pour honorer son dernier contrat.

Lors d’une halte dans la terne et ridicule station thermale de Vals-les-bains, « Un jeu de mots, rien qu’un jeu de mots. Sur France-musique on passait une valse de Strauss alors qu’il abordait la ville au volant de sa voiture », il fait la connaissance de Bernard. Celui-ci, sans travail suite à un accident, s'occupe avec amour et dévouement de son originale de mère qui tête le rhum au-delà de toute modération. C’est un homme simple et sain, toujours prêt à rendre service et à s’émerveiller du monde qui l’entoure. « Ce qui était étrange chez ce jeune crétin c’est qu’il n’était pas bête. Il faisait preuve d’un bon sens ingénu qui rafraîchissait Simon, le ramenait à l’évidence d’une existence simple comme bonjour. C’était comme découvrir une fontaine d’eau vive après une longue marche au soleil. Sa vulnérabilité le rendait invincible ».

Les deux hommes sympathisent et Simon, diminué par des douleurs incessantes pense trouver là le chauffeur qui lui est nécessaire pour le conduire au Cap d'Agde où il doit opérer. Bernard accepte. Il a du temps, l’homme l’impressionne et l’attire, le salaire promis est alléchant et prendre le volant d’une Mercedes l’excite comme un enfant. C'est ainsi que le tueur à gages cynique et misanthrope et le jeune naïf qui ne sait rien des activités de son patron vont faire équipe. Bernard servira d'homme à tout faire, de complice, de témoin, d'ultime spectateur.

Sur la route de cet étrange tandem, quelques morts violentes et des femmes dont la rencontre de hasard laisse entrevoir un changement possible du cours des choses.
D’abord Fiona, la jeune maman paumée et explosive, abandonnée et ramassée par Bernard au bord du chemin avec son bébé, « sorte de tube ouvert aux deux extrémités. Par l’une on le remplit, par l’autre il se vide. Comme on venait de le remplir sur l’aire d’autoroute, il se vida à proximité d’Avignon. Malgré les vitres ouvertes, l’odeur était puissante. La merde, le sang et la putréfaction, Simon connaissait bien, c’était l’odeur de la guerre, il y était habitué. Mais ce caca-là, mêlé aux flagrances de lait aigre, le perturbait. A vrai dire ça ne sentait pas vraiment mauvais, cela tenait de l’étable, de la bergerie, du compost, qui vous ramenait à l’aube de l’humanité et vous donnait du vague à l’homme ». Cette madone du bitume laissera le jeune homme fasciné et troublé par « ce regard qui ne regarde rien, cette peau des mal nourris qui marquent à la moindre pression, et l’allure évasive de ceux qui ne font que passer. »
Puis il y aura Rose, belle taxidermiste sexagénaire, « une petite brioche, le cheveu frisotté, comme si elle s’était coiffée d’une casserole de coquillettes », « bonne fée des dessins animés » qui verra en Simon l’homme qu’elle a toujours cherché.

Un scénario somme toute assez classique de film de série B à regarder en famille à la télévision. Mais ce serait mésestimer le talent et l’humanité de Pascal Garnier que de s’arrêter à cette histoire simple et aux péripéties qu’elle implique. L’auteur excelle à peindre avec justesse, tendresse et humour ces gens modestes, ordinaires, que la vie semble prendre plaisir à ballotter. Ces perdants qui attendent en gare que la chance passe enfin. Ce sont eux qui l'intéressent et il s’y entend fort bien pour leur donner dans son roman une présence forte qui nous émeut et nous les rend proches. Derrière la lucidité cynique de Simon se cache la lassitude amère de celui qui se sait au bout du chemin et se sent bien seul. Il se laisse toucher par ce compagnon à la fraîcheur et la gentillesse attentive qui ne pose jamais de questions. Trop faible pour agir seul, son aide lui devient vite indispensable et derrière son air distant, agacé et bourru, il semble même le prendre en affection comme le fils qu’il n’a jamais eu. Bernard, candide parfois jusqu’à la bêtise, fasciné par cet être si différent qui le sort de son train-train en demi-teinte et lui ouvre les portes d’un autre monde, acceptera tout de cet inconnu parce « qu’il l’aimait bien ce vieux bougon. A force de manquer de père, on finit par s'en inventer un, et celui-là lui convenait ».

Ni enquête, ni rythme effréné d’une chasse poursuite mais un drôle de voyage, presque au ralenti parfois, qui flirte avec le cauchemar. Un récit, entre polar et chronique sociale qui nous dit la morosité de la vie, la prétention suspecte des lieux chics, la bêtise humaine, l’arrogance des grands, la médiocrité des uns et les faiblesses de tous, l’immense soif d’amour qui vous tord le ventre à la vue d’un sourire ou d’un regard. Pascal Garnier s’attarde sur ces personnages à la dérive, ces laissés pour tout compte envers lesquels il fait preuve de respect et d’empathie. Frères dans l’errance et l’espoir déçu, en nous narrant leurs histoires, c’est un peu lui qu’il semble nous livrer au fil des pages. C’est peut-être cela qui fait que, au-delà de la vraisemblance, on se laisse prendre avec tant de plaisir à leur périple. Comme dans tous ses romans, l’atmosphère est noire et désenchantée mais avec élégance. Son art éblouissant de la formule fait mouche, ses notes d’humour nous font sourire au bord de la chute et sa tendresse, son attention à l’autre n’ont d’équivalent que son désir de mordre pour se sentir vivant.

Un livre fort en émotion dont les personnages vous accompagnent longtemps. Un des meilleurs livres de cet auteur qui fait du polar sans en faire pour nous parler pudiquement de lui, de nous et de ce monde où il ne fait pas toujours bon vivre.

Dominique Baillon 
(21/11/06)    



Retour
Sommaire
Lectures









Zulma

(Août 2006)
208 pages - 16,80 €





Zulma (Collection Z)

(Octobre 2015)
192 pages - 8,95 €









Vous pouvez lire
sur notre site


un entretien avec



Pascal Garnier

(décédé le 5 mars 2010)


et des articles
concernant
d'autres livres
du même auteur :

Flux


La théorie du panda


Lune captive
dans un œil mort



Le Grand Loin


Cartons


Vieux Bob