KALOUAZ

Le retour à Volonne



Ahmed Kalouaz est de ceux qui observent avec bienveillance les gens, les humbles surtout, l’humain dans toute sa richesse. Il nous dit ces passerelles jetées par le hasard entre les hommes pour des rencontres qui comptent ou qui passent à peine entrevues, comme des petits bonheur jetés là au bord de la route et à cueillir de suite avant qu'ils ne s'enfuient. « Bientôt faudra beaucoup d'amour. De la patience aussi » (Goutte de lait)

Dans ce recueil-ci, en une douzaine de nouvelles, plus ou moins brèves, l’auteur nous promène plus particulièrement, dans l'ailleurs du jeune âge et de l'adolescence. Un voyage mélancolique, sans larmes ni cris, à travers des souvenirs éparpillés au gré de sa fantaisie.
« Il n'y a rien à voir, à peine de quoi superposer deux ou trois souvenirs. »
« Devant mes yeux, l'enfance qui se balance comme un linge sur le fil. Il ne reste que les sourires sur le drap blanc de la mémoire. »
« Tant et tant de souvenirs, ces portraits de nous vivants. Mais la fuite du temps sur le visage de maman. » (Nouvelle titre)

Émergent alors des bribes de vies, des bouts d'enfances, doux ou cruels qui surgissent de sa mélodie avec la mélancolie comme fil conducteur, en toute discrétion, en toute innocence.
« Il sait qu'il aime Lou depuis. Depuis toujours ou presque. Il y a un presque dans les histoires. Avant c'est presque. Lou est belle. Vingt-six ans aujourd'hui. [...] Lou est un ange et le dévore avec ce m. qui manque. » (Les unités)

On y retrouve la magie des lieux toujours si présente chez l'auteur. Chez lui, la nature berce, les éléments, soleil, vent, tiennent les sens en éveil pour, derrière la musique des mots, suggérer, donner à ressentir, avec une infinie douceur.
« Marie avait dix-huit ans, moi je traînais mes quinze ans entre l'espoir de devenir un jour champion olympique de cross-country ou chanteur. [...] Mains mouillées de rosée et de saveur douce, lèvres gorgées de désir, reins arc-boutés, arc-en-ciel doré par le soleil d'été. Je suis allé en elle en promenade. Les yeux fermés comme un chemin côtier. Le vent du large et l'océan venant frapper contre la roche. » (Début d'automne).

Être vivant, le rester malgré tout, même si parfois, la vie ne fait pas de cadeaux. Même aux enfants.
« Dans la semaine, il s'interroge sur sa vie. Deux ou trois fois, pas plus. Il attend le dimanche pour répondre aux vraies questions. Le reste du temps, personne ne lui en pose. Il serait bien en peine de dire où est son père. Ce qu'il faisait et la couleur de sa voiture. Depuis le temps. A quoi bon revenir dessus, ça a filé tout ça. Bien assez de la nuit pour y penser. » ( Et ton papa)
« Mon père, faut que j'en parle, c'est plus fort que moi. Lui aussi d'ailleurs, et ça l'a bien servi qu'il soit plus fort que moi. Des raclées j'en ai pris, de ce côté-là, aucune privation. [...]Avec mon père, ce n'était ni triste ni compliqué, il suffisait de se plier à sa loi. Fort simple d'ailleurs à la mode des romains – dura lex sed lex –.C'était sa rengaine favorite. [...] Un coup à vous dégoûter d'apprendre les langues mortes. » (Cellule de St Auban)

Même quand la détresse, immense comme les chagrins inconsolables des petits, troue le cœur, entraînant à sa suite de probables drames.
« A part le sentiment de solitude, ça va. Pas de drame dans ma vie, rien de notable.[...] Bien sûr depuis l'affaire, ma mère n'est pas contente, elle dit que ce n'est pas bien [...] La vie ce sont des lois qu'il faut respecter même quand ça va mal. Mais ça va dans l'ensemble. Entre deux gendarmes j'attends de comparaître. Tout à l'heure, il y aura le juge, et des gens dans la salle, qui vont regarder vers moi, et me détester pour ce que j'ai fait. Lacérer des banquettes de train ce n'est pas grave. » (Banquettes)
« Sur les murs, un autre désordre. Enfants de naze, ils ont écrit, les juifs au four. De plus en plus ça leur revient, ce genre de sentence. [...] En janvier les fleurs gèlent sur les murs les mots restent. Les leurs gercent depuis longtemps. [...] Sarah a fait dix pas vers lui, bras écartés, prête à le recevoir contre son cœur cible de jaune. [...] Dans un autre janvier de la vie occupée, Sarah a vu les soldats déboucher sur le quai, hurlant dans la langue qui voulait asservir le monde. [...] Ce long baiser sera malgré les coups de crosse. » (Ne change rien)

Même si parfois les parents ne sont pas ce qu'on voudrait qu'ils soient.
« Les pères, c'est des héros. Presque toujours. Le mien toute une nuit a obéi aux ordres. La radio grésillait dans ma chambre. Le préfet Papon avait ordonné le couvre-feu pour les Français musulmans. Le 18 octobre au matin, les corps flottaient sur la Seine. [...] Sous le pont Mirabeau coule la Seine, parfois la peine, et des noyés par balle, dans l'histoire des fois. Des fois les pères c'est des salauds. Pas souvent. Mais des fois. » (Sous le pont Mirabeau)

L'écriture de Kalouaz est simplement belle. Poétique, délicate comme un souffle. Jamais le travail n'y pèse. Un chant léger, une musique verbale rythmée par l’ivresse de la langue, des phrases simples, des mots, qui, par petites touches impressionnistes, effleurent le cœur, mélancoliques, souvent tendres. De la sensualité, beaucoup, pour des instants qui ressemblent tant au bonheur qu'on serait tenté d'y croire. Une ode à la vie et à l'amour, toujours, malgré les dérèglements de l'histoire, les injustices et la douleur. Quatre-vingts pages de pur bonheur.

Dominique Baillon-Lalande 
(15/02/08)    



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Ed. Le bruit des autres
96 pages, 11 €


www.lebruit
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