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Philippe LACOCHE

Petite garce


Une vingtaine de nouvelles, des portraits de gens ordinaires, adolescents, adultes, vieillissants, à travers un moment de leur vie, plus ou moins marquant, avec pour décor la réalité sociale des années soixante à nos jours. On y retrouve avec plaisir les thèmes de prédilection de l'auteur : les émois du corps et du cœur, la musique, la solitude ou les rencontres intemporelles dans les bars enfumés aux vapeurs d'alcool.

Ici, il nous invite en quarante pages à emboîter le pas d'un fils qui re-visite le passé de son père défunt, pianiste de bar talentueux mais compositeur refoulé, malheureux auprès d’une épouse au cœur sec et d’un beau-père odieux qui lui dénie toute valeur d'homme et d'artiste (Pauvre Georges). Il nous confronte à une soirée rock'n roll et alcool qui tournera au drame pour Kevin « drôle de prénom pour un blaireau de campagne. Kevin comme Kevin Ayers le bassiste et chanteur de Soft machine. » (Dernier rhum). Puis nous dit ce vieux rocker qui, derrière les accords de Cochran, se souvient d'Ahmed le simplet qu'il a descendu presque par erreur "là-bas" lors de cette sale guerre.
« La musique il n'y a vraiment que ça de vrai dans la vie... »

Là, un autre jeune homme incapable de surmonter ses blocages psychiques pour passer à l'acte d'amour trouve en la veuve cinquantenaire gourmande et libérée qui l'attire le traitement idéal (Guérison) et un p'tit gars du Nord se fera déniaiser par une trentenaire épanouie et coquine lors de vacances sous le soleil espagnol (Mon doudou Dim). « Exténué, je m'emparai de sa culotte et de ses Dim, les portai à mon nez, tout en suçant mon pouce. (...) Je rêvais des Ardennes laborieuses, de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Et j'étais bien. » Les cinquantenaires, eux, se retrouvent souvent en position d'esclaves de leurs désirs ardents pour des Lolita candides et brûlantes (Petite garce). «– J'aimerais apprivoiser la géographie de ton visage à toi avec la boussole de mon cœur à moi – voilà ce que j'aurais pu te dire si j'avais été poète. Mais je ne suis pas poète, petite. Pas poète du tout. Je marche sur la passerelle excité comme un bouc en pensant à tes fesses, à ta bouche, à ta langue, à tes seins si menus. »
A ces instants, l'auteur jubile, joue de l'émotion et s'y entend fort bien pour agacer nos sens.

Ailleurs, plus féroce il nous raconte aussi la haine de cet homme qui n’attend qu’une chose : la mort de son voisin. « Je n'aime pas son physique d'intellectuel, ses épaules rentrées, ses petits bras décharnés, ses doigts fins et courts, ses cheveux noirs et ondulés de vieux gamin, ses lunettes rondes, et les grands airs qu'il se donne, toujours à chercher ses mots comme s'il allait vous réciter la Bible alors qu'il demande simplement une baguette de pain à la boulangère. » (Un bon voisin). Il sculpte aussi de sa plume cet adolescent des cités à travers son univers, ses amitiés, ses jeux, ses séances de piscine et la violence toujours prête à éclater, pour nous dire la mort qui rôde (Ma mort en bleu) ou cette gamine émouvante et fragile dans sa nudité, provocante dans son short rouge vif, qui après avoir couché avec générosité et appétit avec une grande part des jeunes du coin, se retrouve enceinte et, par peur de la réaction d'un père adoptif violent, se pend (Fabienne). Dans le quotidien aussi, sournoisement, le drame se tapit.

Parfois, l'auteur se laisse aller à la fantaisie débridée, imaginant la lettre qu'il pourrait écrire à ses pieds devenus soudain des éléments autonomes et revendicateurs (Lettre à mes pieds), ou un hypothétique match de ballon entre une brème audacieuse et des carpes de la Somme (Brèmes contre carpes : 3 à 1). Usant habilement du décalage, il sait aussi surprendre avec l'improbable mise en scène d'un être bienveillant à l'excès, toujours soucieux du bien être des autres, qui provoque involontairement agressivité et catastrophes. (Le monde est beau et lumineux). Alors on se surprend à rire, franchement.

Les nouvelles de Philippe Lacoche (Prix Populiste en 2000 ) sont émouvantes et sensuelles, graves ou frivoles. Teintées de réalisme poétique, elles s'appuient sur un vécu personnel et un regard singulier sur les autres pour dire la vie qui passe, les heurts et bonheurs de l'amour, le plaisir, les filles qui se donnent et celles qui soumettent, la musique, l'alcool qui tient chaud mais égare, la beauté des femmes ou de la nature, les rêves de l'adolescence et ceux de 68, les patrons qui comptabilisent jalousement leur capital quand les ouvriers s'abîment dans le dur labeur. Il capte pour nous la vie, la sienne, celle des amis, des petites gens, des rencontres fugaces, l'observe sous toutes ses facettes pour nous la restituer habillée d'ambiances fortes, d'humour et de nostalgie. « La nostalgie acidulée est l'eau de vie du bouilleur de cru » et c'est avec bien du plaisir que l'on se laisse griser par celle que Philippe Lacoche, auteur fraternel qui de livre en livre affirme son univers et son talent, nous offre au comptoir d'un vieux bar modeste et enfumé. Sûr qu'on y reviendra.

Dominique Baillon-Lalande 
(18/06/09)    



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Le Castor Astral

194 pages, 13 €









Philippe Lacoche est né en 1956 à Chauny, dans l'Aisne. Romancier, nouvelliste et parolier, il est l'auteur d'une quinzaine de livres. Journaliste (le Courrier Picard, le Magazine Littéraire...), il vit à Amiens, en Picardie.




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