Cécile OUMHANI

Plus loin que la nuit

« Entre chien et loup, là-bas de l'autre côté de la mer, elle n'en finit pas de traverser le jardinet avec sa valise trop lourde pour elle. Les grenadiers sont dégoulinants de pluie et l'humidité s'engouffre dans sa poitrine. Plutôt mourir que de flancher et reconnaître qu'elle ne peut pas la porter seule. Pas devant sa mère. »
D'une ville du Maghreb où elle est née, a fait ses études, s'est mariée... puis a divorcé, faute d'avoir pu donner un enfant à son mari, Ahlam lâche les amarres. Elle part loin – dans tous les sens du terme. Seule, enfin libre, dans une capitale du grand nord, elle se reconstruit autour de l'art, sa passion. Elle est enfin prête à croiser d'autres réalités, d'autres violences – celles par exemple vécues par une jeune femme qui quitte mari et fils en emmenant seulement sa petite fille vers un destin inimaginable...
Cécile Oumhani nous offre un très beau roman de femme, où l'écriture, sereine, sert néanmoins avec passion une histoire complexe et parfaitement révélatrice des paradoxes et de la cruauté du monde d'aujourd'hui.

Cécile Oumhani, poète et romancière, vit entre la Tunisie et la France. Son œuvre est traduite en plusieurs langues. Elle a déjà publié Une odeur de henné (1999, Alif pour l'édition en Tunisie), Les Racines du mandarinier (2001), et Un jardin à La Marsa (2003), pour ne citer que ses romans (Paris-Méditerranée).

(4e de couverture)



Deux femmes vont se croiser, un instant seulement, deux femmes que rien ne prédisposait à se rencontrer. Ahlam vient du Maghreb, May d’Edimbourg.

Le première partie du roman est consacrée à Ahlam qui visite, à Helsinki, une exposition de peinture, About girls’ lives. Devant ces œuvres qui évoquent divers aspects de la vie des femmes, Ahlam revoit son enfance, son mariage avec Habib, un homme ouvert, sérieux, avec une bonne situation mais qui ne pouvait imaginer une vie sans enfant. C’est là que leurs chemins ont divergé.
Ahlam a subi deux épreuves : son divorce et la mort de son père. Depuis toujours, la cohabitation avec sa mère était conflictuelle. Que des reproches et de la honte. Alors Ahlam a choisi l’exil.
A Paris tout d’abord. Mais là aussi elle a perçu l’image honteuse de la femme divorcée dans le regard d’un homme. Et il a fallu fuir encore, plus loin, plus au nord, jusqu’à Helsinki.

Ces bribes de récit au fil des diverses salles de l’exposition, comme des confidences, construisent peu à peu une grande proximité entre le lecteur et le personnage. L’écriture est belle, forte et même violente dans les instants de révolte de la jeune femme contre sa mère, contre les traditions, contre l’emprise de sa belle-mère sur Habib, contre Salah, cet homme qui ne voyait en elle qu’une femme facile, légère, dévergondée.

Parfois, un passage plus poétique, comme une respiration, apporte une densité universelle au récit :
Chaque être est un fleuve clair. Il court entre les arbres, saisit leur ombre et la fait danser dans ses eaux. Il gagne des contrées de prairies et caresse l'herbe, où il ralentit, s'attarde, se laisse boire par une terre sombre sous un ciel lumineux. Chaque être est un fleuve clair et, dès qu'il rejoint la ville, il doit se frayer un chemin entre des berges de pierre, où se heurtent ses flots soudain assombris par un lit devenu trop étroit.
[…] Et le fleuve va, attiré vers ce qu'il ne voit pas à la frontière du ciel, prêt à se fondre en de nouvelles confluences, ivre de se perdre dans des océans inconnus.


L’autre femme de ce roman, c’est May. Elle a quitté un artiste d’Edimbourg pour venir à Helsinki. On découvre ses espoirs, on comprend ses déceptions. Elle ne supporte plus son existence dans une jolie maison avec ses trois enfants. Pourtant, selon Michael, son mari, elle a tout pour être heureuse.
Que veut-elle de plus ?
— C'est l'endroit rêvé pour élever des enfants.
Parce qu'il pense de cette façon. Elle est là pour élever leurs enfants. Son être s'insère dans les limites de ces cinq mots.
[…]
— Tu auras bien le temps de peindre quand les enfants seront grands. Occupe-toi d'eux ! Regarde un peu, le lacet de James est défait... Si tu rêvassais un peu moins !


Ahlam et May ne vont pas se connaître. Se frôler seulement quand la violence et la mort feront tomber la foudre à l’instant de leur rencontre.

On ne peut pas tout dire, tout dévoiler, tout raconter, mais on reste profondément marqué lorsqu’on referme le livre. Le cheminement et le destin de ces deux femmes composent un superbe et inoubliable roman.

Serge Cabrol 
(03/11/07)    



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Editions de l'Aube

192 pages - 14,90 €




Vous pouvez lire
sur notre site

un entretien avec
Cécile Oumhani




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