Un roman labyrinthe dont il est impossible de sortir indemne, c’est l’Histoire de Marek. René Pons poursuit son exploration du littéraire et de l’absurde. Quel sens donner à sa vie ? Quel est vraiment le monde dans lequel nous vivons ? Y a-t-il un espoir ? Monsieur Marek, un matin en arrivant à son travail, apprend qu’il est licencié de son entreprise. Pour lui va commencer une errance kafkaïenne. Les limites entre le monde réel et irréel sont bien floues mais la critique d’une société dont le fonctionnement est basé sur le profit, sur le rapport à l’argent plus qu’au bien-être de l’individu, est bien nette.

De nombreux clins d’œil au monde politique, aux figures de proue de la révolution tels que Karl Marx, Lénine…, toute une réflexion sur le dictionnaire :
« Marek avait l'impression d'être de retour chez lui après bien des années d'une captivité subie pour des raisons inconnues. Quelle faute avait-il commise? Et de nouveau le même bizarre vertige le prit. Comme s'il était soudain incapable de percevoir l'écoulement du temps. Comme s'il avait été le lieu d'une coupure. Sans doute, se disait-il, un homme qui a été longtemps dans le coma éprouve-t-il une pareille impression? Ces gens qui autour de lui marchaient comme des automates étonnaient Marek. Est-ce que le mot flâner avait encore un sens? Est-ce qu'il figurait encore dans le dictionnaire, ou bien y figurait-il avec un sens différent ? Flâner. Mentalement, Marek se répétait le mot. Flâner. Il avait quelque chose de chaud, de mou, commençait comme flanelle, léger et tiède, puis s'effilochait, tournant court. Flâner, flânerie... Le mot semblait contenir toute une époque révolue où le temps n'avait pas la même valeur qu'aujourd'hui. Ce mot lui venait à l'esprit, mais bien sûr il y en avait des quantités d'autres. Tant de mots qui, au cours de l'histoire, avaient disparu des dictionnaires, parfois de très beaux mots, sans que personne y fit attention... », sur le but d’un livre : « N'oublie pas que nous sommes dans un livre, qui est une errance, et que le but de ce livre, si tant est que le lecteur ne le referme pas à peine ouvert, est peut-être de le faire un tantinet réfléchir sur le monde dans lequel il vit et, partant, de l'aider à corriger certains des défauts de ce monde. », sur l’imagination : « - Vous croyez donc aux contes de fées ? dit le petit homme. - Je crois à l'imagination ; et non seulement j'y crois, mais je me félicite qu'elle existe. - Est-ce à dire que vous aimez l'erreur ? - L'imagination n'est pas l'erreur, elle est une façon de ne pas rester en surface, d'aller bien au-delà de la carapace des choses. », sur les religieux : « Les religieux ne sont pas des rassembleurs, ils ne relient pas les hommes entre eux, comme ils le prétendent, mais ils les divisent, inventant des sectes qui se haïssent et s'entre-déchirent au nom d'un même dieu baptisé de noms différents. », sur le pouvoir, sur nos morts : « Qui tu as vraiment aimé et qui a disparu tu ne peux l'oublier et tu le sens à chaque instant dans l'odeur d'un feu de feuilles, dans tel paysage que tu traverses, dans telle fugace sensation et sans fin il est là, il t'accompagne, il te regarde, et même si cela n'est qu'imagination, qu'importe ! Nous portons tous en nous, peu ou prou, dans un creux éternelle-ment neuf de notre chair, une présence invisible, un désir ineffacé et ineffaçable, très banal en définitive, mais qui, dans sa banalité, a le don d'être perçu comme unique par chacun de nous. Et cela n'a besoin de passer par aucun sacrement, aucun rituel, aucun interdit, aucun enseignement, aucun temple et tout le reste n'est que littérature. »… structurent magnifiquement ce roman qui se lit avec plaisir et intérêt.

René Pons tout au long de son œuvre parle au lecteur avec la franchise et l’honnêteté du grand écrivain qui se livre dans sa force et sa faiblesse en maniant les mots avec une grande dextérité. Tout ce que dit Marek est important et enrichit notre propre réflexion : « - Je rêve d’un temps où je croyais me sentir libre, où chaque seconde était un pas vers un inconnu sans limites. » Un roman à lire absolument.

Brigitte Aubonnet 
(02/12/06)