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Christian ROUX


La bannière était en noir



La bannière était en noir raconte l'aventure d’un jeune normand, placé enfant par la DDASS dans une famille d'accueil à la campagne, venu à Paris réaliser son rêve. Fuyant l’ennui et le manque de perspectives locales, misant tout sur son goût pour la chanson et sa voix pour s'en sortir, il est monté dans la capitale pour participer à un télécrochet. Ils sont nombreux à espérer être choisis mais le concours se solde par un échec pour lui et la jeune et jolie Samia qui lui sourit et tente de réconforter ce jeune garçon qui semble complètement paumé dans cette ville inconnue. Celui-ci, maintenant qu’il a enfin osé partir, ne peut plus, ne veut plus revenir en arrière. «  S'il ne parvenait pas à saisir cette chance, il essaierait autrement. (...) Sa mère ne croyait pas une seconde qu'il pût emporter le gros lot, elle ne croyait même pas qu'elle le verrait un jour à la télévision, ne serait-ce qu'en première semaine, mais elle comprenait qu'il tentât sa chance à la capitale. Ça s'était toujours fait comme ça, depuis des siècles et des siècles, et les seuls qui avaient réussi, dans sa famille, dans celles des voisins et dans les villages attenants, ne s'y étaient pas pris autrement. » Sortant de sa poche l'adresse du refuge que sa mère d'accueil, prévoyante, a griffonnée pour lui au cas où il se trouverait en difficulté, il va donc voir Fernand, oncle éloigné de la famille, prévenu de sa possible, probable, visite. L'homme, contre un travail d'extra payé au black à la brasserie, lui fournira un toit le temps de trouver mieux.

Il lui faudra attendre le hasard d'une bagarre de rue pour que la chance semble se présenter à lui. Des agents de sécurité, Éric, Bertrand et Kevin, ayant repéré son habileté au combat et flairé la recrue potentielle, lient connaissance, l'invitent au bar et lui proposent un job d'appoint en leur compagnie.
« J'ai autre chose à te proposer. Je t'ai vu te battre, tu n'as pas froid aux yeux, tu fais très jeune, tu as encore des cheveux et ton gabarit est plutôt passe-partout ; est-ce que tu voudrais donner un coup de main pour remettre de l'ordre dans ce putain de pays ? »
Alors « le jeune homme eut une pensée pour Dieu qui avait bien voulu répondre à ses prières en mettant sur son chemin ces hommes. »
La surveillance et le service d’ordre s'avèrent plus rémunérateurs et moins éreintants que la restauration et Gregory est vite conquis par la fraternité, entre bières et bastons, qui unit ces hommes qui l'accueillent dans leur clan.
«  il n'y a pas de honte à avoir entre nous. Que de la fraternité. Tu comprends ? Si on te fait du mal, on nous fait du mal. C'est exactement ce que ne comprennent pas tous ces connards de journalistes. Il n'y a pas de pensée derrière tout ça. Pas d'idéologie. Que du cœur. Tant que tu es avec nous, on est avec toi. C'est aussi simple que ça. »

Quand Samia, après une petite fête chez les nouveaux amis en question, essaie de lui ouvrir les yeux sur la médiocrité, le racisme et la dangerosité de cette bande de nazillons peu reluisants, notre candide, incapable de voir le mal quelque part, ne veut pas la croire. Quand la "beurette" s'en prend à ces "vieux racistes" qui l'ont méprisée, il avoue n'avoir rien remarqué. Quand, celle qui aime avant tout le rap, s'en prend à leurs choix musicaux de merde, il rougit et dans un murmure affirme que lui « il aimait bien cette musique ; c'était ce qu'il écoutait au village et, s'il avait pu devenir chanteur, c'était très exactement ce qu'il aurait souhaité faire. » Samia, qu'il se sentait prêt à aimer, écœurée par tant d'aveuglement le plante là et s'en va retrouver sa famille, son quartier et son foulard.
Les jeux sont faits. C'est complètement seul, dorénavant, qu'il ira rejoindre la meute.

Le processus d'intégration et d'embrigadement s'accélère et le garçon participe sans réserve à tous les mauvais coups : jouer les casseurs lors d'une manifestation d'étudiants, provoquer des supporters lors d'une sortie de match de foot, terroriser et tabasser de l'arabe ou du juif dès que l'occasion s'en présente, protéger une candidate locale du Front National de ces « tapettes » et de cette « foule bigarrée » qui manifestent et lui barrent la route. Le jeune homme sans éducation et sans convictions, indifférent à cette idéologie et à cette « culture » dont ses complices lui rabattent les oreilles mais à laquelle il ne comprend pas grand-chose, devient à force de bagarres et d'alcool partagés, un des leurs à part entière.
«  Il n'avait pas peur. C'était un sentiment dont il était totalement dépourvu. Il n'en était pas fier, c'était comme ça. Ça ne l'empêchait pas d'avoir conscience des dangers qu'il courait et de les craindre, mais cette lucidité ne se traduisait pas en sensations physiques. L'excitation venait du mouvement, de la chaleur qui montait à la tête, de la brûlure des coups, des endomorphines que fabriquait le corps pour lutter contre la douleur et de l'odeur de sueur mêlée à celle du sang. Rien d'autre. »
Fier d'être fort, flatté de se voir reconnu , grisé par la violence, il foncera tête baissée dans l'ignoble et précipitera sa perte.

Du passé de Patrick, devenu Grégory sous le ciel de Paris, nous ne saurons pas grand-chose, mais à sa naïveté et à son errance on devine vite le désert culturel et affectif dans lequel le gamin a dû naviguer jusque-là. Son ignorance du monde et des autres, sa non préparation à affronter la vie, le rendent d'une vulnérabilité totale et en font la victime désignée des pièges les plus grossiers.
La réalité politique, sociale, dans laquelle il va être immergé, nous la connaissons tous. Les voyous imbibés de houblon et de rancœurs, qui cherchent noise et castagnent en marge des matchs de foot ou des manifestations n'existent pas que dans les journaux. L'extrême-droite nauséabonde qui les utilise souvent, non plus. Le scénario qui combine ces différents ingrédients est donc tout à fait crédible et les interrogations qu'il soulève, audibles. La fascination que ces fachos de bazar peuvent exercer sur un tel perdreau de l'année semble aller de soi. A partir du moment même où ces loups ont repéré le grand môme à la crédulité extrême dont l'aptitude au combat physique est la seule force, il devient leur proie et ne peut, tel en son temps Lucien Lacombe dans le film de Louis Malle, que tomber entre leurs mains et se laisser manipuler. Samia, la belle beurette, est d'une autre trempe. Enfant de ces cités qui ceignent la capitale, la vie lui a appris à se défendre. Fille en lutte pour sa liberté contre sa famille et l'intégrisme ambiant, elle s'accroche à ses choix. Lucide et volontaire elle aura peut-être une chance de s'en sortir. Comme une lueur d'espoir dans tout ce noir.
La dernière phrase adressée au gamin par Bertrand lors de la débâcle finale est d'un cynisme à faire froid dans le dos. Impitoyable !

Un récit, entre réalisme et fable, dense et brutal qui, derrière la dénonciation des idéologies racistes ou intégristes, semble ici davantage chercher à alerter sur les ravages que peuvent produire l'ignorance, le manque de repères, d'espoirs et la marginalisation de ces jeunes ruraux livrés à eux-mêmes ou de ces voyous des villes à peine mieux dégrossis. Un texte somme toute fort voltairien qui, contre les obscurantismes et l'intolérance, prône l'éducation et le savoir. Développer la connaissance de l'autre pour désamorcer la peur et la haine qui nourrissent grassement les idéologies fascistes et les racismes de toute nature et de toute période. Mais Christian Roux n'est pas un donneur de leçons et son livre n'est pas un pamphlet.
Le ton utilisé par l'auteur pour décrire l'itinéraire fatal et lamentable de cet adolescent naïf laissé pour compte de la société, est simple, juste et respectueux. Évitant les discours sentencieux, il se contente de raconter un fragment de la vie de son personnage, de démonter les mécanismes du piège dans lequel il tombe, sans manichéisme ni jugement. S'il dénonce avec vigueur le caractère violent et primaire de l'extrême-droite et ses dangers, il positionne, sans pour autant le justifier, son petit provincial et ses entraîneurs fascistes comme de pitoyables petits casseurs fanfarons, victimes de leur bêtise et de leurs pulsions qui se sont engouffrés dans cette brèche-là plus par frustration et goût de la bagarre que par véritable choix politique.
Le lecteur est alors confronté à un texte dérangeant, fort, engagé, qu'il conviendrait de répandre, notamment auprès des plus jeunes, pour alerter et faire débat.
Un petit noir bien tassé qui tel un coup de poing fait mal à l'estomac mais qui réveille, de ceux que l'on s'avale au chaud dans un bar le petit matin avant de reprendre son poste et sa veille contre la bêtise malsaine et pour l'humanité.

Cette histoire originale menée avec intelligence, sensibilité et efficacité prouverait si nécessaire que cet auteur qui n’a pas vraiment été publié à la Série Noire, puisqu'il devait l'être lors de l’arrêt brutal de la collection dirigée par Patrick Raynal, a toute sa place dans cette Suite Noire qui met à l'honneur des auteurs de « polars modernes, courts et rythmés... à déguster sans sucre et cul sec. »

Dominique Baillon-Lalande 
(19/04/09)    



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Noir & polar










Editions La Branche
Suite Noire
94 pages - 10 €





Christian Roux,
romancier et musicien
de rock, prépare l’enregistrement
de son second album
Goutte à Goutte.




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Les ombres mortes




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