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Cathy YTAK
Rien que ta peau
Le texte commence au petit matin, sur le lac gelé où Louvine et Mathis, entrelacés dans le même duvet après une première nuit d'amour, sont réveillés par les aboiements des chiens et les cris des parents partis à leur recherche.
Ludivine, Louvine pour Mathis, victime d'une maladie contractée par sa mère durant sa grossesse, est considérée comme idiote par les siens et les autres. Elle est surtout pathologiquement lente – « quand ça va trop vite, je ne sais plus » – et obsédée par les couleurs.
Mathis, lui, est un adolescent solitaire qui prépare un CAP de menuiserie. Passionné par les oiseaux, il se rêverait plutôt ornithologue mais il est daltonien et cet handicap a ruiné tout espoir d'y parvenir un jour.
Ils se sont rencontrés sur le chemin qui descend vers la ferme, par hasard, et lentement se sont apprivoisés. « Ce qui nous rapprochait, toi et moi, c'était ce quelque chose un peu caché au fond de nous, peut-être un peu cassé. Je criais quand on s'approchait de moi trop vite, et toi, tu ne voyais pas la différence entre la couleur d'une courgette et celle d'une carotte. Finalement, on aimait tous les deux l'hiver pareil, et la neige aussi. Parce que c'était froid et blanc. Et que nous, nous étions tout brûlants à l'intérieur, et que personne ne le savait, à part toi et moi. »
Tous deux, dix-sept ans à peine, le poids de l'adversité déjà sur les épaules, ont des sentiments et des sensations à fleur de peau, des cœurs qui se comprennent, des corps qui s'attirent. Leur vie en sera changée. « Tout était tragique, et les pas de mon père dans le couloir, les critiques de ma mère, et tout le monde hostile autour de moi. [...] Rien ne me faisait sourire ni ne m'amusait jamais, j'étais entourée de couleurs qui ne voulaient pas s'associer, il n'y avait que la neige qui me ramenait à la raison, au calme, à la paix, mais je ne riais pas. Toi, tu m'as fait rire, Mathis, ce soir-là, mon esprit était comme un oiseau. » Pour Louvine, avec Mathis tout est simple et beau. Première rencontre, premiers émois, premiers troubles des sens, elle laisse libre cours à ses émotions. « On ne sait jamais, la première fois, que c'est la première fois. On y pense après, un peu plus tard. C'est de l'histoire déjà, et la première fois que je t'ai vu c'était un soir, alors que l'autocar me ramenait au village comme chaque soir de la semaine quand je vais à l'institut que j'appelle le lycée pour débiles. »
La jeune fille dite « immature » dont « la lenteur limite l'efficacité intellectuelle et affecte la capacité de décision » franchit sans hésitation toutes les étapes, provoquant les baisers, décidant de faire l'amour. Elle vit là un premier amour vrai, fusionnel dont l'intensité lui donnera la force de résister à ces adultes qui l'ont une fois pour toute classée dans la case des incapables, d'oser être elle-même pour se lancer sur les chemins de l'âge adulte, de faire des choix et de croire en la vie et en l'avenir.
Quand la meute se rapproche, sonnant la fin de la fugue amoureuse, Louvine refusera de fuir et retiendra Mathis auprès d'elle pour profiter encore un peu de sa chaleur, prolonger la magie de l'instant et emmagasiner du bonheur pour les jours de séparation à venir. Les parents certains de retrouver une Ludivine éplorée et violée auront bien du mal à accepter cette Louvine amoureuse capable de prendre des décisions, de faire des choix et de les assumer.
« Elle crie cependant moins qu'avant et semble se socialiser peu à peu [...] Il se peut qu'elle ait été d'accord pour suivre ce garçon et avoir des relations sexuelles avec lui. Normale ou pas... Vous savez, on ne voit jamais grandir ses enfants. » « Ma mère n'a pas accepté le discours du psychologue et lui a dit qu'il se trompait, qu'elle me connaissait parce qu'elle était ma mère. »
Mais Ludivine, ce que disent les autres, elle s'en moque. Réfugiée sous sa couette, elle dorlote son trésor. « C'est ce souvenirs qui me tient debout à l'intérieur. » « J'essaie de retrouver tout ce qu'on s'est dit et même, tout ce qu'on ne sait pas dit. Les premières fois, les mille premières fois. »
« Pareille à une pelote de fil que je tire doucement, [ma mémoire] je la dévide, je vais la rembobiner complètement, [...] parce que les histoires, ça se raconte en partant du début. Ils m'ont dénié le droit d'y avoir joué un rôle, alors je me la réapproprie et la ressors intacte. »
Patiemment, Louvine attend le retour de l'amant.
« Elle me dit que [...] tu as abusé de ma crédulité. Puis elle affirme que tu ne reviendras plus, que tu m'as déjà oubliée, et que je dois en faire autant. [...] Mais, moi, je sais que tu es parti en stage pour trois semaines, et que les trois semaines sont bientôt écoulées. [...] Ma mère dit que tu m'as abandonnée et moi, moi je sais au contraire que tu vas revenir. La main sur ma gorge je me tais parce que c'est notre secret. [...] Et une nuit, une nuit où la lune ne sera pas tout à fait pleine, une nuit très froide avec plein d'étoiles dans le ciel, tout recommencera. »
Cet itinéraire de deux adolescents en difficulté vers l'amour, de l'innocente rencontre à la nuit sur la glace, est décrit avec respect et émotion, en harmonie avec la nature automnale, ses couleurs, ses odeurs, ses bruits. Cette omniprésence du décor accentue le sentiment de «bulle» hors du monde des amants et confère au récit une dimension poétique et universelle.
Cathy Ytak nous offre ici une histoire de premières fois, tendre, belle et touchante, un texte d'initiation narré de l'intérieur, avec des mots justes, forts et sensibles.
Un texte plein d'émotion et de vie dans une collection de textes courts, comme un souffle, qui affirme au fil des titres son identité. La qualité littéraire de ces textes destinés aux adolescents qui en sont toujours le sujet, la palette des auteurs choisis pour cette aventure éditoriale, en font aussi de longues nouvelles à lire avec plaisir par les adultes qui ont conservé en eux une certaine part d'innocence.
Dominique Baillon-Lalande
(12/11/08)
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Jeunesse
Actes Sud Junior
Coll. D'une seule voix
76 pages - 7,80 €
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de Cathy Ytak :
www.cathy-ytak.net
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