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On retrouve Jacques sortant du coma six mois plus tard. Les secours qui l’ont retrouvé inanimé sur une route forestière épuisé et déshydraté avec une jambe cassée et un traumatisme crânien ont pu l’identifier grâce la médaille qu’il porte au cou et ses papiers retrouvés dans sa poche et l’ont transféré à l’hôpital Marie-de-l’Assomption de Privas. À son réveil, si le coma semble avoir gommé tout souvenir chez Erwin Boy, celui-ci dorloté par les religieuses assurant le rôle d’infirmières récupère vite ses autres facultés. Cette amnésie traumatique validée par la science écartera de fait toute suspicion. Ce sera un séjour agréable où on lui apprendra même à jouer au ping-pong pour retrouver sa mobilité et durant lequel il aura quelques échanges avec une Mère supérieure qui semble attendre beaucoup de lui. Le Caporal, ce vieux et étrange pensionnaire en fin de vie, ancien militaire, espion russe ou allemand, proche de Pétain, frère de la Mère supérieure, marchand d’art ou ambassadeur de Pie XII selon les hypothèses des uns et des autres, atteint d’un cancer en phase terminale qui a payé une pension fort généreuse pour attendre la mort dans son propre appartement dans la grande bâtisse, l’a aussi repéré. L’homme énigmatique et inquiétant qui est aussi respecté que craint tant on devine sa puissance sous sa courtoisie de façade en fera rapidement son homme de confiance et son exécutant testamentaire. Une nouvelle vie faite d’aventures et de dangers sur terre et sur mer commence alors pour Erwin Boy... La mission s’organise autour de trois phases : le chaos, l’amour et la mission. Durant une centaine de pages le chaos concerne tout d’abord Jacques Paul personnellement, cet adolescent de l’Assistance Publique qui avec ses deux prénoms n’a pas plus d’identité et de réalité que ceux que l’on désigne par un numéro et n’a connu que trop vite l’esclavage dans les zones rurales où contre le gîte et le couvert les fermiers leur imposaient avec brutalité si besoin d’interminables et dures journées dans les champs ou auprès des bêtes. Quand il aura rejoint un groupe de résistants pour cheminer un moment avec eux dans le désordre de la libération et de l’épuration où le destin des hommes se conjugue à celui de la nation, puis qu’il s’enfuit à travers la forêt pour échapper à ceux qui une fois de plus le verraient bien dans le rôle du bouc émissaire, le chaos qu’il devra affronter sera non seulement général mais d’une autre nature. Cela ne l’empêchera pas de s’avérer instructif et libérateur pour lui-même. Avec des chapitres non numérotés, sans titre et souvent courts, c’est à travers les exactions commises par les uns ou les autres que Richard Morgiève évoque non sans ambiguïté et à demi-mots cette période historique trouble et sa férocité. Car si le Débarquement en Normandie est bien la première étape de la libération du pays, il faudra presque deux mois pour qu’elle concerne tous le territoire français et un certain temps pour en chasser l'occupant. Au sein de son groupe de résistants le jeune héros découvre la satisfaction de se sentir enfin acteur de sa propre vie, la chaleur de la camaraderie et la violence des rivalités qui se nichent dans un collectif mais aussi des dérives de l’épuration. Lors des séquences de haltes nocturnes dans des caches ou de fuite, au sentiment de liberté ou de peur s’ajoutent la fascination et la connivence qu’il ressent avec cette nature dont il admire la beauté et qu’il vit comme protectrice. La fontaine coulait sans cesse et peut-être qu’un oiseau trempait son bec dans l’eau fraîche ? La vie était partout, tout le temps, partagée par des millions, des milliards d’organismes, de plantes… J’aimais bien cette idée, elle faisait oublier la mort. La deuxième phase du roman est celle de l’amour inattendu et lumineux qu’en à peine vingt-quatre heures il partagera avec Erwin. Un amour passionnel, fusionnel, qui révélera à Jacques sa capacité d’aimer et sa qualité d’être humain pour enfin donner du sens à sa vie. Un moment majeur où tout va basculer puisqu’à partir de cet instant Erwin et lui ne feront plus qu’un. La brève rencontre de Jacques avec Erwin fait glisser le roman historique dans le registre sentimental, avec une vingtaine de pages romantiques à souhait sur la puissance de ce sentiment absolu et quasi religieux qui fait transition entre le chaos qui l’a précédé et à sa suite la mission confiée par Erwin auquel il dédiera sa propre existence désormais. La troisième phase qui occupera les cent trente pages suivantes du roman ne reviendra que fugacement sur le contexte historique et la révélation amoureuse qui l’a conclu. Après la période transitoire du coma expédiée en une ou deux phrases, à Jacques auquel s’est désormais substitué un être nouveau-né de la fusion entre lui et Erwin, ce n’est pas alors le milieu médical ou du soin qui prendra place mais un monde parallèle bien différent introduit et incarné par le personnage atypique, mystérieux et inquiétant du Caporal. Celui-ci, après avoir mis à l’épreuve le jeune homme, lui proposera d’effectuer pour lui avant qu’il ne meure une mission mystique fondamentale qu’il ne peut plus mener lui-même contre la promesse de l’aider ensuite à tenir la promesse amoureuse qu’il a faite à un mort en l’aidant matériellement et par ses contacts à atteindre le joyau de l’Idaho. C’est alors le registre du rebondissement et de l’aventure, du mystère, du surnaturel et de l’onirisme qui prendront le pouvoir dans son parcours initiatique agrémenté d’obstacles, de frayeurs et de péripéties surprenantes ou déstabilisantes où le bien et le mal s’affrontent. Erwin-Jacques en tirera de multiples enseignements dont le discernement, la maîtrise et la maturité mais aussi une sorte de réconciliation avec le monde présent et celui de l’au-delà. Comme dans tout bon conte philosophique les questionnements existentiels sont ici très présents. J’étais relié au soleil et à la terre par force, par ma nature animale (…) Je contemplais, assommé, le paysage immense et à peine discernable. Vivre et mourir. Choisir la vie ou la mort. Le seul choix. Cathy avait parlé juste, c’était vrai. Simple. Richard Morgiève et son héros lumineux, en faisant fi de toute logique narrative, embarquent ceux qui acceptent de les suivre dans d’improbables pérégrinations, des questionnements et des divagations qui, entre mystère, beauté, trivialité, violence et mysticisme, appartiennent à un monde aussi proche de nous qu’inaccessible. Entre roman de guerre, roman d’amour et d’initiation ou roman picaresque et au-delà de l’hommage incontestable que l’auteur y rend à la nature, La mission est un roman complexe, troublant et inclassable qui en flirtant impunément avec le conte s’adresse à la fois à l’enfant naïf et innocent que nous ne sommes plus et à l’adulte que chacun de nous s’efforce d’être. Dominique Baillon-Lalande (06/11/24) |
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