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Michel QUINT

Et ma vie pour tes yeux…


« En plein jour. La petite demoiselle entend le ding dong de la sonnette, dévale l'escalier du bel étage, j'arrive, j'arrive, ouvre sur l'éblouissement d'après-midi, la rumeur du boulevard. Et se fait gifler à la volée, étourdir d’un aller-retour tassé mieux qu’un baiser au coin des lèvres… » Elle est refoulée vers l’intérieur, maîtrisée par un homme cagoulé, victime d’un « home jacking » technique consistant à s’introduire violemment chez un propriétaire et lui extorquer des biens, en plein jour, en pleine ville, en plein Lille, une région bien connue de Michel Quint qui avec ce prologue ouvre Et ma vie pour tes yeux...

Début ébouriffant et terrifiant, cependant nous quittons l’urbanisation lilloise pour aller au nord de sa périphérie, près de Marcq-en-Barœul, à Bondue précisément et déjà un coin de campagne, pour assister à la rencontre de deux personnages dans une maison cossue. L’aménagement, après une période de Covid et de confinement, vient à peine de finir pour y accueillir des résidents. L’hôtesse, Violette, reçoit dans sa maison le premier de ses hôtes, Henri Clarieux. « Un type dans la petite cinquantaine, grand, sec mais musculeux, cheveux très courts, bruns, une gueule de desperado, de bandit calabrais, et un regard noir. » Quant à Violette dont le corsage baillera souvent : « Elle a quoi ? Quarante ans qui courent vers les cinquante. Elle sourit à essayer d'être irrésistible de séduction hospitalière comme elle voudrait, être l'hôtesse parfaite, ramasse sur le seuil La Voix du Nord du jour par réflexe, et respire court […] elle veut tellement plaire depuis toujours et désormais elle voudrait que sa petite personne séduise pour que sa petite entreprise soit florissante. »

Violette fait visiter sa maison. La bibliothèque et ses milliers de volumes attire la curiosité. Les autres pièces témoignent d’un stéréotype de maison bourgeoise, décor de bon goût attendu. Et l’agression ? Entre Henri et Violette, lequel enquête, lequel est suspect ? L’auteur nous détourne de ces questions. D’emblée, ce contact et la visite se font sur un mode badin, les corps se frôlent. Une idylle timide débute. Violette se confie. Elle est veuve et vient d’hériter de son mari. Plus laconique, Henri déclare être venu ouvrir un bar où il sera possible d’écouter du jazz. Il élude son passé, avoue une vie compliquée et cite une chanson de Reggiani, « L’Italien, il a été empereur, braconnier, équilibriste et pianiste, chercheur d’or, les femmes lui ont tout pris il en pleure encore… » Il ne dit pas tout. Il déteste les volatiles, méfiant envers les canards, « Les oies n’en parlons pas… ».

Pendant la sortie des écoles où des mamans en SUV attendent leurs marmots, se présente chez Violette « un type, la soixantaine passée, noueux comme un cep, une tourmente de cheveux blancs, une barbe de trois jours, blanche, et une gueule à la Antonin Arthaud […] Abel Descenclos. Aède et rapsode rural […] je suis l’Homère lillois. » Abel, un fou de littérature. Ses visites, avec des produits de la ferme voisine, les Agaches, exploitée à présent par son fils, sont un prétexte pour finir dans la bibliothèque de Violette. Abel, par le passé, un agrégé de littérature classique abandonné par sa femme du jour au lendemain pour un « godelureau », avait dû reprendre la ferme de ses parents malades. De son récent passage chez Violette, il a laissé ouvert le recueil Alcools de Guillaume Apollinaire sur le poème Les colchiques dont le dernier vers de la première strophe étale précisément « Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne. » Henri l’avait vu sans prêter attention. Lui justement à qui « les femmes ont tout pris », Abel et son épouse évanouie, Apollinaire, dont selon Michel Quint, l’amour des femmes a fichu en l’air sa vie, font-ils cause commune, mènent-ils la même bataille d’un amour rêvé mais jamais accompli ?

« Et il dit quand même, cette affaire de home-jacking, on n'a pas de nouvelles. La police n'a pas de coupable. Faudrait voir La Voix du Nord, si violette l’a récupéré… » De chapitre en chapitre vient, en rappel, sous différentes formes, l’épisode violent du prologue. L’affaire en cours, l’auteur nous a investis, nous lecteurs, l’air de rien, du rôle d’enquêteurs puisqu’apparemment Henri et Violette s’apprécient et que leur relation évolue en « feel-good ». Pourtant, il nous reste une brochette de personnages qui évoluent autour d’eux. À commencer par le fils d’Abel, Xavier avec son épouse Claire qu’Henri ne laisse pas indifférent. Ils s’occupent de la ferme, vendent sur place leurs produits. Depuis le Covid, les clients désertaient leur affaire, une reprise molle les contraint à poursuivre les livraisons à domicile commencées au début du confinement. Le petit-fils d’Abel, en classe de prépa, les aide pendant ses congés scolaires. Ce sont d’honnêtes travailleurs à l’humeur chagrine qui subissent le contrecoup du confinement, tout près de la faillite.

Quant à la maison « Violette », elle se remplit d’hôtes dont les noms ou prénoms peuvent s’interpréter au second degré. Ida Sergent, écrit pour la jeunesse. À la suite de la période de confinement du Covid, elle se lance dans l’écriture pour adultes et élabore un feel-good, ouvrage désignant chez les anglo-saxon une œuvre ayant pour but de donner un sentiment de bonheur. Ida aussi, dès qu’elle voit Henri, devient aguicheuse. Pour Henri, c’est une jeune oie aux tenues provocantes. « Elle a un petit haut noir, très bref et moulant, et une jupette rouge. » ou «  sans pudeur, juste un tee-shirt qui ne couvre rien… » Et même habillée sagement, « d’un gilet Woodstock, pas mal trop bref à la poitrine… », elle attire encore les regards. En quête d’inspiration et d’amour, elle ferait une victime idéale. Arrivé un peu avant, hâbleur, dragueur, Édouard Mercier, « un type gominé, un Rudolph Valentino. » qui vient du 9.3., fait des visites à domicile pour placer des monte-escaliers. Il se vante de profiter des maris au travail et des femmes seules pour marchander ou peaufiner son offre commerciale. Un suspect potentiel. Enfin les « Tartarins ». Henri a lu Daudet et nomme ainsi ces derniers arrivants venus d’Avignon, le couple Sarah et Oliver Belzunce. « Courts sur pattes, le sourire Colgate, fringués safari ou pas loin. Il a une moustache Flynn ou Gable, comme on veut, une couronne de cheveux monacale, et elle, ronde, boucles courtes grisonnantes, elle a la tête d'une maman qui vient d'accompagner sa fille au couvent. » Leur fils Gaétan voyage dans la région en compagnie d’une jeune femme italienne, Rosa. Olivier la soupçonne d’être mafieuse et se demande si, en définitive, avec son fils, ils ne prospectent pas dans la région en vue d’un mauvais coup agissant comme des typhons. Tous ces acteurs évoluent, vaquent dans la région. Pendant ce temps, le home-jacking fait de nouvelles victimes. Certains se retrouvent au centre de l’affaire. Ville et campagne fusionnent par le méandre des circonstances. Henri, Ida, Edouard vont côtoyer les faits divers, La Voix du Nord, les actualités télévisées. Les rencontres des uns et des autres provoqueront un précipité explosif.

Entre roman policier et roman d’amour, en pleine période contemporaine, Michel Quint avec une écriture inventive, rythmé, fait le bilan des mois Covid, l’élan de solidarité et de désaffiliation, concept cher à Robert Castel, désinhibant des comportements. En filigrane, un constat social des gagnants et des perdants. La bibliothèque regorge d’auteurs chers à Michel Quint qui enrichissent subtilement l’atmosphère feutrée, embellissent les sentiments en ébullition. L’ambiance, déjà riche de semblants et de non-dits, se révèle bien plus conflictuelle qu’elle n’y paraît. Abel, énigmatique amateur de Desnos et son poème Corps et biens, devant l’importance des blancs et des silences, a raison, il y a du « mallarméen ».

Michel Martinelli 
(21/10/24)   



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Serge Safran

(Septembre 2024)
160 pages - 18,90 €












Michel Quint
a écrit de nombreux ouvrages et obtenu plusieurs prix littéraires.


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Wikipédia











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