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Aro SÁINZ DE LA MAZA


Malart


Le GEHME (Groupo Especial de Homicidios de los Mossos d’Esquadra, groupe spécial de la police de Catalogne, plus simplement appelé le Groupe) obtient de très bons résultats grâce à Milo Malart, un super flic. Grand, presque deux mètres et maigre, il impressionne par sa façon très personnelle de résoudre les enquêtes, plus que par son physique qui ne passe pas non plus inaperçu. Il travaille régulièrement avec sa coéquipière, Mercader Rebeca, qu’il étonne sans cesse et notamment lors de la dernière enquête, la défenestration d’un gamin de treize ans, confiée au Groupe. L’équipe avait vu le corps dans une position invraisemblable et plusieurs indices de lutte dans le salon. Elle avait écarté le vol. « C’est alors que l’inspecteur Malart s’était arrêté dans l’entrée, puis accroupi et, sans un mot, avait indiqué le ballon de basket délaissé sous une chaise. » L’équipe du GEHME n’avait pas prêté attention à ce détail, mais à partir de cet indice mineur en apparence, Malart, en l’exploitant, recrée tout le scénario vraisemblable. La suite confirme son intuition. À l’occasion, Rebeca « n’avait pas pu éviter d’éprouver un doux mélange de saine jalousie et de fierté ». Aro Sáinz de la Maza nous donne ainsi un aperçu du fonctionnement de Malart enquêteur et de ses collègues un peu à la traîne tout en étant d’excellents policiers expérimentés, aussi.

Malart n’est pas seulement un enquêteur hors pair, c’est aussi un homme au caractère fantasque et surtout déçu par la justice. Lors d’une enquête précédente, la mort d’une jeune femme, Candela Cuadrado, le riche couple de psychopathes Parés-Moreta, membres de la jet-set et coupables de l’assassinat, sont sortis blanchis. Malart écœuré de tant d’injustice est nerveusement éprouvé. Il inquiète même ses collègues Mercader, sa coéquipière, et le sergent Toni Crespo, dont il est très proche. « Il prend la chose tellement au sérieux qu'il peut, et je dis bien "il peut", annuler tout le reste, comme s'il avait signé un contrat avec les victimes et leur entourage et qu'il voulait par loyauté le respecter à tout prix. » Malart continue l’enquête en dépit de l’interdiction de sa hiérarchie. Il suit le couple infernal nuit et jour afin d’établir leur culpabilité avec des preuves qui, jusqu’ici, ont manqué ou parce qu’elles ont été falsifiées.

Cet entêtement, sorte de névrose obsessionnelle, est-il la cause de son absence alors qu’il doit procéder à l’arrestation du responsable du meurtre du jeune défenestré ? Mercader, inquiète, se rend à son domicile. Malart injoignable devient introuvable. Elle fouille plus ou moins l’appartement et, à son grand étonnement découvre, épinglées les photos en gros plan des deux suspects suivis par Malart ainsi que celle de leur victime Candela Cuadrado. D’autres documents officiels photocopiés et des originaux en provenance du commissariat figurent sur un mur. Mercader comprend comment Malart occupe son temps depuis six mois. Le silence inquiétant de Malart devient suspect. Soit il a éteint son téléphone, soit on l’a fait pour lui. Plus rassurante est l’hypothèse d’une batterie de téléphone déchargée.

Entre-temps, Crespo apprend à Mercader la découverte de cadavres traînés chacun par un filin, dans le sillage du luxueux yacht de ce fameux couple Parés-Moreta. Le Groupe est dépêché pour l’enquête. Seul Malart manque au grand désespoir de sa coéquipière. Elle ne cesse de l’appeler et d’aboutir systématiquement sur sa messagerie. Les premières constatations sidèrent les membres du GEHME. Après avoir décliné l’identité des victimes qui se révèlent ne pas être autres que le couple de psychopathes Parés-Moreta, selon le médecin légiste, Bonhora, la mort a été provoquée par asphyxie non mécanique. En conclusion, les victimes jetées vivantes à la mer, les mains entravées dans le dos par des menottes, se sont noyées. Les indications du responsable scientifique Marquez et son équipe apportent des précisions formelles qui laissent alors les enquêteurs abasourdis. Les menottes utilisées sont identiques à celles du GEHME, leur numéro de série le confirme. Elles appartiennent à l’inspecteur Malart. De plus, toutes sortes d’empreintes et des traces, notamment de son sang, confirment sa présence à bord du bateau ainsi que le prouvent des enregistrements de caméras vidéo. « Messieurs, comme vous venez de le voir, Malart s’est infiltré dans le yacht, dit Marquez sur un ton solennel. Le fait est irréfutable. » Hostile à Malart, petit coq prétentieux aux yeux du légiste, Marquez insiste et orchestre tous les éléments à charge en une longue litanie. À part lui et Boada, un inspecteur arriviste du Groupe détestant Malart, qui le lui rend bien, tout le Groupe est unanime et refuse de croire à la culpabilité de leur collègue. Il faut d’abord enquêter, des preuves disculpant Malart existent sans aucun doute pour eux. Mais le juge chargé de l’enquête et la commissaire chef Bassa, sensibles à l’hypothèse élaborée par Marquez, lancent un mandat d’arrêt à l’encontre de Malart. L’absent persiste à ne donner aucun signe de vie. La pression monte, le GEHME dispose de peu de temps, risque d’être dessaisi de l’enquête, et d’ailleurs Malart est-il encore en vie ?

Malart a déjà œuvré, sous la plume de l’auteur, dans des livres précédents ; leur non-lecture ne gêne aucunement la lecture de celui-ci. Aro Sáinz de la Maza délègue l’élaboration de la mise en place de son personnage. L’astuce est de profiter de l’absence du policier, laisser ses collègues élaborer à nouveau les caractéristiques du personnage principal. C’est à partir de l’absence partielle de Malart que s’organise et se structure l’intrigue. Petit à petit, les contours du héros émergent, le mystère s’éclaircit dénouant le nœud gordien. Au fil de la narration, les collègues peaufinent leurs impressions sur cet inspecteur atypique, raffinent des accents de son caractère, admirent son astuce de limier infatigable d’apparence. Le respect n’empêche pas une once de critique pour ses procédés parfois borderline sans, toutefois, lui en tenir trop compte. D’autres, policiers, politiques ou industriels, le haïssent et veulent l’éliminer pour de bon. L’opportunité, en effet, est belle. Ils laissent couler sans retenue des paroles fielleuses, en rajoutent à l’occasion et font de Malart un malfaisant au sein de la corporation policière, se servant le cas échéant des réseaux sociaux et de la presse. Face à ce déferlement d’incriminations, Mercader envisage une seule solution pour le disculper, et qu’elle fait partager aux membres du Groupe attaché à Malart, consistant à adopter sa méthode très personnelle : chercher dans les indices insignifiants ceux auxquels Malart se serait intéressé.

Aro Sáinz de la Maza mêle intrigue policière et troubles psychologiques, traumatismes d’enfance et dérèglements d’adulte perturbant la sérénité d’une vie et, surtout, possiblement une enquête criminelle. La cuirasse de Malart n’est pas sans défaut. Et lui-même apporte, au cours de la narration, des éléments portant sur sa personnalité, son enfance, sa famille, son hypersensibilité et sa méthode. Malart n’est pas mort, il survit au fond d’une cave, l’esprit complétement chamboulé. Il essaie de retracer de son côté le film des événements, ne sachant pas encore qu’ils sont à charge contre lui. Une ombre ténue dans un esprit tortueux, une méthode qui risque de l’être tout autant pour ses collègues désirant l’emprunter. Ajoutons l’énervement du monde politique et des affaires qui cherche à museler la police et parvient même à lui dicter des instructions. La tournure de l’affaire augmente le scepticisme de Mercader : « Qu’as-tu fait Malart ? Dans quel merdier t’es-tu foutu ? »

Michel Martielli 
(21/05/24)    



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Collection Actes Noirs
(Avril 2024)
432 pages - 23,50 €


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Traduit de l'espagnol
par Serge Mestre






Aro Sáinz de la Maza,
né à Barcelone en 1959, est éditeur et traducteur.










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