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Roger BÉTEILLE


Les défricheurs de nouveaux mondes


C’est très émue, tremblante d’impatience de connaître le destin de l’héroïne, que j’ai lu cette poignante saga de Roger Béteille.  Certainement parce qu’elle se déroule dans l’Aveyron et que mon père y est né, tout près de la petite vallée du Lézert, entre Naucelle et Sauveterre, où le narrateur situe la famille dont il va nous raconter sur 20 ans, de 1870 à 1890, la rude vie, dans le Ségala, la région pauvre du Rouergue. Sûrement aussi parce que dans les deux très beaux personnages de femmes qu’il fait exister, celui de Céleste Bonal et de sa petite-fille Marie, j’ai reconnu ma grand-mère, petite mémé d’un mètre cinquante qui me racontait la très dure enfance qu’elle avait vécue là, aux culs des vaches comme elle disait, elle qui toute petite en avait peur et ne rêvait que de pouvoir continuer l’école et devenir institutrice pour vivre une autre vie que celle des filles de famille paysanne pauvre obligées de se louer dans de grosses fermes, avant de devenir elles-mêmes, mères d’une nombreuse marmaille pas choisie, épouses d’un ouvrier se louant à la tâche ou d’un paysan rendu rugueux par son travail acharné dont il n’était jamais sûr qu’il nourrirait sa famille.

La défaite de Sedan, le terrible hiver qui a suivi, le phylloxera qui ravage les vignes, la maladie de l’encre qui détruit les châtaigniers, mais aussi l’arrivée des premiers instituteurs de l’école sans Dieu, le départ des plus pauvres vers les villes ou d’hypothétiques eldorados outre-Atlantique, le défrichage de terres jusque-là incultes, bref,  l’Histoire, qui semble pourtant se dérouler toujours ailleurs, loin, lézarde petit à petit les habitudes ancestrales et l’on voit bien ici que ce sont  les hommes et les femmes qui en sont les artisans.

Ils franchissaient les années sans les compter, pas plus qu’ils ne comptaient leurs pas sur le chemin des Cambous. Rien ne leur paraissait notable, tout se fondait également dans le flou des travaux et du temps sans durée, qu’on ne voit pas s’écouler.

Envoûté par les descriptions des paysages de cette région, dont la sauvagerie et la rigueur du climat déterminent le travail des hommes, le lecteur tourne les pages fébrilement et les années aussi parce que Roger Béteille sait le surprendre dans cette apparente immuabilité. Bon an, mal an, le temps avance, rythmé par d’interminables journées de labeur éreintant où tous, enfants compris, ont leur part, sur cette famille paysanne ne possédant qu’un lopin de terre, une petite vigne en péril, quelques moutons et quelques vaches. Et comme on ne peut pas arrêter  le temps, on ne peut s’arrêter de lire  tant on a l’impression que le sort de Marie, cette petite fille née d’un déni de grossesse dans cet âpre milieu où seule sa grand-mère va l’aimer et la soutenir, est suspendu à notre lecture comme son souffle l’est à celui de sa grand-mère quand elle vient au monde, fragile étincelle de vie, dès les premières pages du roman. Et après, c’est en retenant le nôtre de souffle, qu’on va lire chaque étape de l’enfance et de la jeunesse mouvementées de Marie qu’on reconnaît comme pionnière sur le long chemin de l’émancipation des femmes, elle, à qui, sa grand-mère  a transmis les clés de sa liberté : savoir lire et écrire.

Une rue de Rodez où Marie va venir très jeune travailler, porte le nom de Béteille.  Je sais qu’il ne s’agit pas de notre romancier, mais je trouve que cette longue rue qui dégringole de la cathédrale de Rodez jusqu’à de plus modestes quartiers peuplés des descendants de ses modestes défricheurs de nouveaux mondes lui va bien.

Sylvie Lansade 
(24/03/15)    



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Lectures







Éditions du Rouergue

(Janvier 2015)
384 pages - 21,50 €





Roger Béteille

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