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Fabrice CARAVACA

La falaise


L'homme est en marche. La « falaise », c'est à la fois ce qui se dresse devant lui comme obstacle, comme l'insurmontable même, et le gouffre qui s'étend à ses pieds, qu'il doit longer avec la plus grande prudence. Marcher c'est faire corps avec le monde et c'est frôler le vide. Car la falaise, c'est ce que la marche emmène avec elle, avec le redressement qu'elle impose, de possibilité de chute. C'est son risque et c'est sa chance.

À mi-chemin du récit et de la poésie, ou de la litanie et du conte philosophique, les textes de Fabrice Caravaca explorent les frontières du corps et du monde, les interactions entre eux que la marche met en branle, et ils interrogent notamment comment la marche laisse une empreinte aussi bien dans le territoire que dans le marcheur. L'écriture de Caravaca est travaillée par cette double exigence qu'impose le face-à-face (avec la falaise) et le fait de longer des abîmes (la falaise encore). Tout se passe comme si les gestes de l'homme les plus simples (marcher, mais aussi s'alimenter) étaient appels à la gravité, étaient conscience d'une droiture et activation d'une mémoire. Car marcher, c'est aussi faire advenir une trace en soi. C'est inscrire des pas sur la terre et c'est s'inscrire dans les pas de quelque chose d'ancestral en soi.

Caravaca est un lyrique. Il chante, il rend hommage, il remercie. Son écriture s'attache à rendre leur grandeur aux gestes de l'homme. Presque, accomplir le moindre geste est pour lui avant tout initier une prière. Surtout il insiste sur l'application que chaque geste commande, sur l'attention qu'il demande :

« L'âme simple du pied se pose à l'intérieur du corps qui ne recule pas. »

Magnifique image que cette « âme simple du pied » qui est la trace intérieure et bénéfique de celui qui va de l'avant. C'est parce qu'il y a une résolution de fer dans l'homme, un courage exemplaire, une droiture, que la marche confirme l'homme. Et que s'approcher de la falaise est d'abord un acte de croyance, comme si la bravoure était là comme approbation suffisante de l'homme. La situation de Caravaca, son tropisme et son nœud psychologique aussi bien, le défi qu'il s'est proposé de relever, c'est que la droiture et le cercle se rejoignent. C'est que la rectitude exige de frôler des gouffres, de savoir tituber dans l'ivresse du monde. En quoi la marche est aussi une danse, une verticalité qui s'expose au risque de tomber, et qui retrouve en elle une ancienne manière d'être et de chanter. Celui qui est droit est celui qui fait retour à l'ancien en lui qui le détermine et le redresse, celui qui retrouve en lui les gestes inscrits de toute éternité. Son lieu est la falaise, c'est-à-dire cette lèvre de la terre et du ciel, où le bas et le haut s'attirent vertigineusement, où s'accomplit une sorte d'équivalence entre le danger et la grâce, entre le corps et le monde, entre la transcendance et l'immanence. La tâche de l'homme est de se déplacer sur ce fil-là, à la fois extrêmement précaire et assuré puisque perpétuant une sorte de continuité de l'homme dans l'homme, un destin. La falaise est un texte ambitieux, empreint d'une espérance et d'une foi :

« Comme il y a à l'autre bout des mains un corps, il y a aussi à l'autre bout du jour et de la nuit le corps tout entier colorié du jour et de la nuit. »

Laurent Albarracin 
(07/05/14)    
Lire d'autres articles de Laurent Albarracin sur http://pierre.campion2.free.fr/albarracin_chronique.htm



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Poésie








Æncrages & Co

(2014)
21 €

Couverture
Olivier ORUS






Fabrice Caravaca,
né en 1977 en Dordogne, vit actuellement à Limoges où il anime les éditions Dernier Télégramme.



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