Le Royaume
Emmanuel Carrère dans La Crise, première partie de son récit Le Royaume, nous rapporte son cheminement vers le christianisme et comment sa foi s’est développée pour le guérir de son mal-être par l’authentique sentiment de détenir la vérité spirituelle qui manquait à son équilibre.
Pendant plus de quatre années dans une chapelle de l’église Saint-Séverin il mangera le corps du Christ avec l’intuition de se purifier et d’épanouir son cœur et son âme ; pendant plus de quatre années, chaque matin avant d’accomplir son travail d’écrivain, il commentera phrase par phrase l’Evangile selon saint Jean ; pendant plus de quatre années il verra dans cette image douloureuse du Christ sur la croix, l’homme venu sur terre parmi les hommes pour répandre la bonne parole, mourir sur la croix puis ressusciter d’entre les morts afin de nous sauver avant la fin des temps.
Puis le doute. Emmanuel (littéralement traduisible par : « Dieu est avec nous ») doute.
La foi du christianisme est fondée sur un événement que la science ne peut que nier et dont les seuls témoins sont une poignée de simples pécheurs : le Christ est mort sur la croix puis est ressuscité d’entre les morts. Mais le plus miraculeux dans ce mystère sera que de cette fragile vérité naîtra une croyance que partageront plus des deux tiers de la population de notre terre.
Emmanuel Carrère nous avoue ne pas croire, ou ne plus croire, à cette résurrection. Mais il veut comprendre et pour cela il nous livre un véritable travail d’historien sans surtout se priver de ses dons de romancier, il est clair qu’il ne peut se défaire de son merveilleux talent de conteur.
Il nous offre donc son Évangile.
Les documents dont il se servira pour son enquête émanent en grande partie de l’Évangile selon saint Luc et des Actes des apôtres où est relaté la vie de Paul, également rédigée par Luc (le livre à l’origine devait avoir pour titre « L’enquête de Luc » mais Emmanuel Carrère entendait trop dans cette phrase la contrepèterie, alors ça sera : Le Royaume).
« Ce texte, écrit-il, qu’autrefois j’ai approché en croyant, je l’approche maintenant en agnostique. Je voulais autrefois m’imprégner d’une vérité, de la Vérité, je cherche maintenant à démonter les rouages d’une œuvre littéraire. Pascal dirait qu’autrefois dogmatique je suis devenu pyrrhonien. Il ajoute avec justesse qu’on ne peut sur ce sujet rester neutre. »
Ce Luc, médecin de profession, mais également un peu peintre et finalement évangéliste (pour ne pas dire écrivain) nous percevons rapidement qu’Emmanuel Carrère en le suivant pas à pas, ligne après ligne, s’est attaché à lui, il lui devient une sorte d’alter ego, mais un alter ego qui est parvenu à pondre un des plus énormes bestsellers jamais écrit, pour ne pas dire Le Bestseller. Carrère aime ce personnage qui accompagne Paul comme un reporter envoyé par Libération ou Paris-Match. Il se voit très bien à sa place, dans sa peau ; et il épluche ses écrits comme si ceux-ci étaient un travail confié, pour une dernière lecture, par un ami avant de partir vers l’achevé d’imprimer.
Si comme moi votre connaissance du christianisme se limite à quelques messes écoutées sans grande attention ou au spectacle du baptême d’un neveu pendant lequel les paroles du prêtre étaient couvertes par les cris de l’enfant, Le Royaume vous enseignera bien des secrets sur le Nouveau Testament et surtout vous ouvrira les portes vers l’envie de le lire ou relire et de chercher à le comprendre ou à mieux le comprendre même si fatalement il conservera une part de son mystère.
« Je te remercie, père, d’avoir caché ces choses aux sages et de les avoir révélées aux tout-petits. »
Nous ne saurons pas exactement à la lecture du Royaume, si Emmanuel Carrère conserve ou pas sa croyance, mais une chose est certaine, son amour du Christ subsiste bien, seule la forme de cet amour peut sembler différente.
David Nahmias
(05/10/16)
