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Claudie Gallay nous emmène dans le massif de la Vanoise. Son héroïne,
Carole, retourne dans le village de son enfance, où habitent toujours son
frère et sa sur. Le Val des seuls n'est pas l'endroit le plus
beau ni le plus perdu, juste un bourg tranquille sur la route des pistes [...] Ainsi commence un séjour et une attente. L'attente du père, Curtil, que ses enfants n'ont pas revu depuis le décès de leur mère. Il vient de leur donner rendez-vous, à tous les trois, pour la période de Noël. Curtil a été souvent absent pendant leur enfance, il prévenait sa famille de ses retours en envoyant chaque fois une de ces boules de verre, une boule à touristes pleine d'eau avec de la neige en synthétique [...] Curtil revenu, la vie reprenait. Tant qu'il était à la maison, le dernière boule restait sur la table [...] Un jour il repartait. Il repartait toujours. Carole vit à Saint-Étienne, enseigne dans un lycée professionnel, mais pour l'heure traduit le livre du peintre Christo : le land art, les voiles, les tissus, un type qui emballe les monuments et devient célèbre dans le monde entier [...]. J'ai traduit une interview dans laquelle Christo explique qu'on montre aussi les choses en les dissimulant. Car le roman se déroule lentement, tranquillement. Chaque chapitre décrit
une journée, parfois banale ou peut-être riche d'un évènement
sans portée visible, de ce quotidien que redécouvre Carole. Elle
a loué un gîte, près de la scierie, et tout en se rapprochant
pas à pas de sa famille, de son passé, Carole redevient témoin
du rythme actuel du village, et va s'impliquer progressivement et à sa
façon. Elle retrouve Jean, son ami d'enfance, marié, mais qui
a toujours ce charme et cette attention qui la trouble. Il l'invite à
l'accompagner. Des personnages qui n'ont que l'apparence de la simplicité. Le père
de Jean, vieil homme témoin de l'histoire du village. Sorte de sage,
qui tient une échoppe et qui rénove un herbier, ainsi que des
animaux empaillés. La "Baronne", aristocrate solitaire qui
recueille les chiens malades, perdus, dans son chenil, pour les soigner avant
de les proposer à l'adoption. Et Francky, le propriétaire de La
lanterne c'est trois grandes salles tout en longueur et une odeur indéfinissable,
un mélange de bière et de tabac qui se prend à la laine
moite des pulls et qui loue le gîte à Carole.
Et ce frère, Philippe, garde forestier, manifestement passionné
par ses recherches sur le vrai itinéraire d'Hannibal qui serait passé
par cette vallée : Tu n'y crois pas à ce chemin, mais tu verras,
un jour des randonneurs viendront de loin pour faire la route. Et il y a ce secret à propos de l'incendie de leur maison, des circonstances
mais aussi des souvenirs qui se confondent, une forme de culpabilité
âpre que promène Carole. Le frère et la sur peu enclins
à en parler éludent ses questions. Ils vivent leur vie, parfois
compliquée et que cette sur qui les a quittés vient peut-être
déranger. Je demandais à Philippe ce qui aurait changé
dans ma vie si c'était toi que maman avait sauvée en premier...
C'est pas rien ça ! On peut quand même se poser cette question
?[
] On comprend au fil du roman, que l'affection de l'auteure pour ses personnages suinte entre les lignes alors qu'elle n'est pas toujours perceptible. Une question de rythme ? Des surprises dans certains dialogues, et comme de la pudeur dans certaines phrases à peine prononcées ? Nous pourrions nous laisser porter au fil des jours égrenés, alors que nous sommes intrigués par cette banalité, et curieux de ce qui va pouvoir se dénouer comme si nous partagions la vie de ces gens. Il y a aussi les arbres que l'on coupe, une piste à faire, contestée par certains, et la neige qui rend ce paysage magnifique, qui tombe parfois à propos ou qui ralentit la vie. Et c'est là le talent de Claudie Gallay. On aurait envie de parler d'une nouvelle façon de suggérer. Cette progression lente est due à ce journal qui note et raconte tout,
et nous propose presque de trier nous-mêmes l'important de ce qui n'est
qu'anecdotique. Ma joue a frôlé sa joue, j'ai respiré
à fond, entre le col et le visage, la fragrance intime de cet homme qui
me troublait depuis que j'étais gamine, et j'ai décidé
que le temps d'une danse j'allais être pleinement et parfaitement heureuse.
Et à nous aussi, cela suffit à notre plaisir. Anne-Marie Boisson (10/10/13) |
Sommaire Lectures Éditions Actes Sud (Août 2013) 448 pages - 22 €
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