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Claudie GALLAY

Une part de ciel


Claudie Gallay nous emmène dans le massif de la Vanoise. Son héroïne, Carole, retourne dans le village de son enfance, où habitent toujours son frère et sa sœur. Le Val des seuls n'est pas l'endroit le plus beau ni le plus perdu, juste un bourg tranquille sur la route des pistes [...]
Dès la première page, et dès son arrivée ce lundi trois décembre, on est pris par un ton, une indication : Je suis née ici, d'un ventre et de ce lieu. [...] ma mère a enterré mon cordon de vie dans la forêt. Elle m'a condamnée à ça, imiter ce que je sais faire, revenir toujours au même lieu et le fuir dès que je le retrouve.

Ainsi commence un séjour et une attente. L'attente du père, Curtil, que ses enfants n'ont pas revu depuis le décès de leur mère. Il vient de leur donner rendez-vous, à tous les trois, pour la période de Noël. Curtil a été souvent absent pendant leur enfance, il prévenait sa famille de ses retours en envoyant chaque fois une de ces boules de verre, une boule à touristes pleine d'eau avec de la neige en synthétique [...] Curtil revenu, la vie reprenait. Tant qu'il était à la maison, le dernière boule restait sur la table [...] Un jour il repartait. Il repartait toujours.

Carole vit à Saint-Étienne, enseigne dans un lycée professionnel, mais pour l'heure traduit le livre du peintre Christo : le land art, les voiles, les tissus, un type qui emballe les monuments et devient célèbre dans le monde entier [...]. J'ai traduit une interview dans laquelle Christo explique qu'on montre aussi les choses en les dissimulant.

Car le roman se déroule lentement, tranquillement. Chaque chapitre décrit une journée, parfois banale ou peut-être riche d'un évènement sans portée visible, de ce quotidien que redécouvre Carole. Elle a loué un gîte, près de la scierie, et tout en se rapprochant pas à pas de sa famille, de son passé, Carole redevient témoin du rythme actuel du village, et va s'impliquer progressivement et à sa façon. Elle retrouve Jean, son ami d'enfance, marié, mais qui a toujours ce charme et cette attention qui la trouble. Il l'invite à l'accompagner.
– Tu vas damer la Face ?
– Oui. [...]
Mon regard a vacillé, incertain.
– Je ne sais pas ...
– Il faudrait que tu voies ça une fois dans ta vie.
Avec ses mains il a mimé les deux plateaux d'une balance. [...]
– Tu veux qu'on le joue à pile ou face?
J'ai rougi. Violemment. On avait joué à ça, déjà, un baiser. [...]
Une Semeuse de un franc qui était partie décider pour nous.
Était retombée. [...]
Face.
Ça aurait été diffèrent comment, ma vie, avec un retour côté pile ?

Des personnages qui n'ont que l'apparence de la simplicité. Le père de Jean, vieil homme témoin de l'histoire du village. Sorte de sage, qui tient une échoppe et qui rénove un herbier, ainsi que des animaux empaillés. La "Baronne", aristocrate solitaire qui recueille les chiens malades, perdus, dans son chenil, pour les soigner avant de les proposer à l'adoption. Et Francky, le propriétaire de La lanterne – c'est trois grandes salles tout en longueur et une odeur indéfinissable, un mélange de bière et de tabac qui se prend à la laine moite des pulls et qui loue le gîte à Carole. Et ce frère, Philippe, garde forestier, manifestement passionné par ses recherches sur le vrai itinéraire d'Hannibal qui serait passé par cette vallée : Tu n'y crois pas à ce chemin, mais tu verras, un jour des randonneurs viendront de loin pour faire la route.
Et enfin Gaby, la petite sœur, amoureuse de Ludo qui purge une peine de prison. Femme de chambre dans un hôtel proche, elle se "débrouille" et habite un vieux bungalow avec "la Môme", gamine qu'elle élève comme sa fille.

Et il y a ce secret à propos de l'incendie de leur maison, des circonstances mais aussi des souvenirs qui se confondent, une forme de culpabilité âpre que promène Carole. Le frère et la sœur peu enclins à en parler éludent ses questions. Ils vivent leur vie, parfois compliquée et que cette sœur qui les a quittés vient peut-être déranger. Je demandais à Philippe ce qui aurait changé dans ma vie si c'était toi que maman avait sauvée en premier... C'est pas rien ça ! On peut quand même se poser cette question ?[ …]
– C'est toi qui aurais l'oxygène, elle a dit.

On comprend au fil du roman, que l'affection de l'auteure pour ses personnages suinte entre les lignes alors qu'elle n'est pas toujours perceptible. Une question de rythme ? Des surprises dans certains dialogues, et comme de la pudeur dans certaines phrases à peine prononcées ? Nous pourrions nous laisser porter au fil des jours égrenés, alors que nous sommes intrigués par cette banalité, et curieux de ce qui va pouvoir se dénouer comme si nous partagions la vie de ces gens.

Il y a aussi les arbres que l'on coupe, une piste à faire, contestée par certains, et la neige qui rend ce paysage magnifique, qui tombe parfois à propos ou qui ralentit la vie. Et c'est là le talent de Claudie Gallay. On aurait envie de parler d'une nouvelle façon de suggérer.

Cette progression lente est due à ce journal qui note et raconte tout, et nous propose presque de trier nous-mêmes l'important de ce qui n'est qu'anecdotique. Ma joue a frôlé sa joue, j'ai respiré à fond, entre le col et le visage, la fragrance intime de cet homme qui me troublait depuis que j'étais gamine, et j'ai décidé que le temps d'une danse j'allais être pleinement et parfaitement heureuse.
Comme plus tard : J'aurais voulu faire quelque chose pour elle, trouver les mots et lui dire sa belle humanité ! Et la bêtise des autres, ceux qui font du mal et qui blessent. Ceux qui ont un regard acéré comme des couteaux. Ceux des mots en lame de rasoir. Ceux-là plantent en nous des blessures bien singulières, de ces douleurs éternelles qui sont différentes d'un être à l'autre. Et qui sont présentes d'un être à l'autre [...] Je n'avais pas prononcé à voix haute un seul de ces mots et pourtant Gaby ne pleurait plus. [...] Elle s'est remonté un sourire doucement, du dedans de son âme.
– Ma sœur..., elle a dit.
Une fissure de lumière qui a vibré dans son immense carcasse.

Et à nous aussi, cela suffit à notre plaisir.

Anne-Marie Boisson 
(10/10/13)    



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Lectures









Éditions Actes Sud

(Août 2013)
448 pages - 22 €












Portrait © Mélania Avanzato
Claudie Gallay
vit dans le Vaucluse.
Elle a publié huit livres et obtenu le prix des Lectrices de ELLE 2008 pour Les déferlantes, roman adapté pour la télévision avec Sylvie Testud (diffusion fin 2013 sur Arte).






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