Retour à l'accueil du site
Retour Sommaire Nouvelles






Michel HOST


Une vraie jeune fille



Vous voilà enfin, Belle ! Je meurs heureux d’avoir pu vous revoir.
Madame Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête

L’étrange atmosphère de conte mythologique contemporain  imprégnant la nouvelle qui ouvre ce recueil, lui donne son nom et le ton des autres histoires, surprend, amuse, envoûte. Une vraie jeune fille… On pense au film éponyme de Catherine Breillat dont la jeune héroïne fantasme sur le nouvel employé de la scierie de son père, un bûcheron, un homme des bois. Elle ressemble aux belles ingénues perverses de ce recueil de contes vénéneux, érotiques et drôlement décalés puisqu’ils se passent de nos jours tout en ayant les atouts de l’atemporalité des contes. Ces nouvelles Princesses semblent les héritières d’une vaste lignée qui pourrait aller de Phèdre à Lady Chatterley en passant par certaines héroïnes des Contes Cruels de Villiers de L’Isle Adam ou diaboliques de Barbey d’Aurevilly. Qui dit princesses dit contes et ceux de notre enfance sont bien évidemment conviés. Perrault est évoqué dès la couverture du recueil, des extraits de contes des frères Grimm et de Madame d’Aulnoy servent d’exergues aux trois dernières histoires de l’ouvrage qui s’inspirent librement de leurs dédicataires. Bien ancrées dans la réalité d’aujourd’hui, ces  «princesses» aux noms merveilleux d’Atta, Apolline, Sophronise, Albine ou Gudrun sont les filles, nièces ou femmes d’hommes d’affaires se déplaçant certes en jet privé ou en Maserati mais aussi pourvus de titres de noblesse et du château qui va avec. Ces histoires de jeunes filles sont comme elles, fantasques, sulfureuses, irrésistibles et drôles.

Le recueil se divise en deux parties. La première comprend sept histoires, chiffre sacré, mêlant la réalité de notre monde à celle de récits antiques comme dans Une vraie jeune fille où l’héroïne est un avatar de Diane chasseresse. Miss Atta pratiquait donc la chasse d’une manière qui n’était qu’à elle, à l’arbalète le plus souvent, arme silencieuse et puissante. Elle marchait dans les sous-bois, entièrement nue, d’un pas silencieux, suivie d’Holopherne, nu lui aussi.[…]Ils formaient tous deux un équipage comme on n’en avait pas connu depuis les temps de Gaston Phébus […]
Ou dans M. Faune où le couple Sophronise et M. Mercure, fabricant de foulards et de sacs de dames, mettent au monde un enfant ressemblant à un bouc dont la précocité sexuelle devient à la longue plus qu’embarrassante ! C’était une époque très dure. Le capital était aux abois, le travail dans l’abîme, le petit bourgeois dans la terreur, l’ouvrier au chômage! Pour oublier cette jungle, chaque dimanche, à la saison propice, M. Mercure allait à la chasse ou, si le temps s’y prêtait, à son club de golf. Sophronise se sentit bientôt si délaissé qu’elle en conçut du désespoir. Elle n’avait plus que son fils, qu’elle regardait avec crainte ou fierté selon les moments.[…] Ils pleuraient alors tous les deux, et Pan promettait à sa mère de réformer sa conduite.
Ou dans Croisière à bord du Pompidolium oùle narrateur raconte son hospitalisation à l’hôpital Georges Pompidou comme un embarquement sur un navire, sorte de barque moderne de Charon, où l’on serait à la merci de nouvelles parques, les infirmières, jeunes femmes expertes dont dépend notre destin. Des dames blanches, des dames noires, des demoiselles métisses croisent autour de moi, sans un regard. […] Je me dirige vers le repaire de l’infirmière gardienne compatissante.[…]Elle me conseille de retourner dans ma cabine (la 7029) […]

Dans la deuxième partie du recueil, Trois contes pour aujourd’hui,  le grand Pan est mort et avec lui le monde païen de l’Antiquité. Comme leur titre l’indique, ces contes, tout en évoquant la féerie de ceux de Grimm et de Madame d’Aulnoy, féerie déjà fort imprégnée de préjugés sociaux et de richesses matérielles, dénoncent avec beaucoup d’humour  la vulgarité mercantile de notre société de consommation et ses amours bling-bling. La Belle se prend pour Marilyn, Avenant ne meurt pas avec la Bête, le Prince ne s’appelle plus Charmant mais Dusympa et n’épouse pas la Belle mais la marie à son frère pour en faire sa maîtresse! O tempora, o mores!
Dans le cadre des vulgarités admises, la fête fut grandiose à souhait. […] Après on dévora des montagnes de makisushis de Thaïlande, du saumon d’Ecosse en gelée, des filets de kangourou à foison. Parmi les mets exotiques, la pizza texane, le pavé de bison du Connecticut, l’assiette du trappeur, les brochettes bœuf-cheese, le steack tartare XXL, le civet de sanglier aux airelles emportèrent tous les suffrages. On but de la Cola-Loca (une boisson régionale très en vogue) avec divers Lokomotiv Drink, Black Bull Energy, Biomotor Wild Tonic, Over White Night et Super Punchy Vodka… On ne put empêcher cependant quelques originaux traditionnalistes de s’égayer dans les fourrés où l’on s’abreuvait de Dom Pérignon de la Réserve en fumant des herbes mystérieuses. On dansa le slow, la samba et certaine danse locale appelée « danse des canards ». Tous les souverains du BTP, Entrepreneurs de Démolition et Construction avaient été invités, avec les Archiducs des Ponts-et-Chaussées, Princes des Maisons Phénix, Vice-rois du Parpaing et de la Brique Réfractaire […] Nombre d’artistes en vogue […] prêtèrent leur concours à ces réjouissances  qui durèrent sept jours et sept nuits.

Comme le livre de Michel Host est tout entier une fête éclairée de sources multiples, lettres, journaux intimes, carnet de notes, déclarations de témoin au tribunal, séances de traduction latine animées, très animées, notre réjouissance de lecteur est heureusement plus pérenne !

Sylvie Lansade 
(13/04/15)    



Retour
Sommaire
Lectures












Weyrich

(Mars 2015)
200 pages - 14 €










Michel Host,
né à Furnes (Belgique) en 1942, Prix Goncourt en 1986 pour son roman Valet de nuit, est poète, romancier, nouvelliste et traducteur. Il dirige la revue La Sœur de l'Ange.


Bio-bibliographie de
Michel Host
sur Wikipédia





Vous pouvez lire
sur notre site

un entretien avec
Michel Host


et découvrir
d’autres livres
du même auteur :

Poème d'Hiroshima

L'amazone boréale

Lysistrata

Mémoires du Serpent

L'enfance de l'art