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Toutes évoquent leur quête de féminité et la découverte de leur corps, leurs amours et leur sexualité. À travers leurs histoires familiales respectives c'est le sort de ces épouses subsahariennes trompées, victimes de la brutalité masculine, mises enceintes par des Blancs puis abandonnées comme le furent les mères d’Amandla et d’Ixora, qui est mis en lumière. Et dans ce « monde régi par une puissance masculine mal ordonnée » il est alors aussi question, sans tabou, de l’homosexualité féminine. Un retour aux sources en quelque sorte puisque les sociétés subsahariennes auraient eu, avant que celles-ci ne soient entravées par le christianisme et l’islam, une vision de la sexualité très étendue car dans « le flux de l’énergie vitale où les âmes peuvent s’incarner en homme ou en femme l’amour ne dépend ni de la couleur de peau ni du genre ». À "Vieux Pays", par exemple, les femmes vivent encore aujourd'hui entre elles, partageant la sensualité et l'affection que leur refusent les hommes. Dans ce roman riche et complexe, aux côtés des traditions très largement évoquées se retrouvent donc très naturellement abordées les questions du sacré (visite de Madame chez le sorcier), des mythologies (notamment le culte égyptien d’Aset, chemin choisi par Amandla dont on suit la mystérieuse et effrayante séance d'initiation subie pour tenter de renouer avec ses racines et sa terre originelle) et des religions aux poncifs ordonnés par les hommes et imposés en particulier aux femmes pour les asservir. Ces quatre femmes en quête d'identité personnelle et collective dans cette société post-coloniale où la hiérarchie sociale et l'ascendance semblent tout déterminer, ont pareillement reçu en héritage des origines troubles et un tourment identitaire qui pèsent lourd sur leur vie et leurs relations. Ici, être un métis engendré de façon illégitime par un colon est moins déshonorant que d'être une « femme sans généalogie », descendante d'esclaves. N'oublions pas, comme aime à le dire Madame, que « c'est d'abord la lie qu'on a laissée partir dans les cales des navires ».
Ces différents monologues, s'ils dessinent des personnages de femmes contrastées mais toujours étonnantes et sensibles, dépassent les lignes de l'histoire individuelle de chacune pour restituer plus largement une vision de la société, de la famille, du couple où la femme est au mieux invisible et au pire victime. Face à ces femmes souffrantes mais fortes, Dio est un personnage à peine esquissé, absent et muet qui semble avoir été composé comme un concentré de tous les travers masculins que ces femmes ont rencontrés chez le sexe opposé. Mais si celui-ci est comme ses pairs à la fois dominateur, violent et lâche, c'est avant tout un profond désarroi et une peur panique face à la vie, aux autres et aux femmes en particulier qui le caractérisent. L'identité de l'homme africain serait-elle aussi fragilisée par l'Histoire et la société contemporaine que celle des femmes auxquelles ils imposent leur lois ? La question semble affleurer parfois, enrichissant cet éblouissant roman féministe ancré dans la terre africaine d'un regard périphérique qui lui confère une portée universelle. La construction du roman, en utilisant la juxtaposition des confessions pour nous livrer son intrigue, donne non seulement une place rarement accordée aux femmes dans la littérature francophone d'Afrique mais joue habilement avec la fragmentation des informations pour cultiver le doute jusqu'au bout, obligeant le lecteur à une lecture active pour parvenir à décrypter ce secret familial qui à travers Dio constitue le détonateur de la situation. Ce subterfuge formel offre de plus l'occasion à Léonora Miano de brasser étroitement, comme elle aime le faire, le destin individuel et le collectif, la petite et la grande Histoire, l'intime et le politique avec une richesse démultipliée. Un roman choral, sensuel, érudit, engagé, inventif, un hymne à la lutte que font vibrer la colère et l'émotion, dont l'intelligence et la puissance fascinent, emportent, envoûtent le lecteur totalement en lui laissant en partage le trouble et l'espoir. Magistral ! Dominique Baillon-Lalande (07/11/16) |
Sommaire Lectures Grasset (Août 2016) 288 pages - 19 €
Bio-bibliographie sur Wikipédia Découvrir sur notre site d'autres livres du même auteur : Contours du jour qui vient La saison de l'ombre |
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