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Gérard MORDILLAT

La Brigade du rire


Dans différents médias, certains journalistes ne se gênent pas pour donner leur avis sur ce que les travailleurs, employés et ouvriers, devraient accepter. Ils considèrent que ceux-ci s’accrochent à des "avantages acquis" qui ressemblent à des "privilèges" et dans une économie mondialisée ces journalistes défendent l’idée qu’il faudrait accepter de changer de comportement pour permettre aux entreprises d’être compétitives et de continuer à vivre. C’est le prix à payer pour garder son emploi !

Ce n’est pas le point de vue de L’Enfant-Loup, le révolté, qui ne supporte pas la soumission au capital :
« – Une chose a changé : avant on avait un métier, après on a eu un travail puis un emploi et maintenant on a un job quand c’est pas un stage. C’est-à-dire une misère. Alors tous les jours je me demande ce que les salariés ont dans le crâne à protéger cette misère comme un trésor. Ou plutôt : qu’est-ce qu’ils n’ont pas ou qu’est-ce qu’ils n’ont plus dans la tête ? […] Ce sont des morts-vivants, des peurs vivantes ! »

Gérard Mordillat dans ce roman présente Pierre Ramut un journaliste qui travaille dans le journal Valeurs Françaises et qui a écrit un essai, La France debout, deux médias dans lesquels il développe ses idées : « – L’entreprise ne doit pas être la seule à subir les conséquences des arrêts de travail de la trop fameuse "certaine catégorie de personnel". Ceux qui prennent le risque de la mettre en péril doivent payer pour ce qu’ils font. C’est une mesure de justice. Pas de travail, pas de salaire. » Voilà une affirmation erronée de Pierre Ramut car les travailleurs en grève ne sont pas payés contrairement à ce que beaucoup croient en écoutant ce genre de journalistes.

Une dizaine d’amis se retrouvent alors qu’ils ne se sont pas revus depuis l’adolescence et lors d’une soirée bien arrosée vont organiser, chacun pour des raisons diverses, l’enlèvement  de Pierre Ramut pour le mettre au travail et ainsi le confronter à la dure réalité de la condition ouvrière que jusqu’alors il ne connaissait absolument pas tout en se permettant d’écrire sur le sujet. Ils vont lui lire des extraits de son essai et les lui appliquer à la lettre.

Combien de journalistes écrivent sur des sujets qu’ils ne connaissent pas ? D’autres font un vrai travail d’investigation mais ont parfois du mal à le mener au bout dans un monde où tout doit aller vite. Ce roman est très jouissif pour dénoncer ces journalistes qui font le jeu du libéralisme en écrivant plutôt une propagande insidieuse qu’une analyse fondée sur une connaissance du sujet et des différentes parties en présence.

Au fil du roman, nous découvrons les parcours de vie de chacun des protagonistes avec leurs secrets, leurs mensonges, leurs amours, leurs déceptions, leurs deuils, leurs combats professionnels.  Kol s’est fait licencier : « – Ils te font faire un "bilan de compétences". Tu dois tout mettre sur la table : ce que tu as fait, ce que tu sais faire, ce que tu aimerais faire, tes projets professionnels. […] Tu repars humilié de t’être laissé traiter comme une pièce de mécanique qui passe au contrôle de qualité avant d’être envoyée au rebut. » Chacun a vécu des moments difficiles ce qui les motive pour s’engager dans une aventure étonnante.     

Le suspense est maintenu jusqu’au bout car on se demande comment la Brigade du rire va pouvoir terminer cette séquestration où ils vont employer Pierre Ramut en lui faisant percer des trous dans des pièces de duralumin : « Pour parler comme vous, nous avons des objectifs de compétitivité : vous devez faire six cents pièces à l’heure. Votre salaire – ce mot que vous détestez – sera au niveau du Smic moins 20% afin de rivaliser avec les Chinois… »

C’est un vrai bonheur de lecture jubilatoire jusqu’à la dernière ligne du roman. Cela fait beaucoup de bien de voir que ceux qui dans les médias se permettent de juger les travailleurs voient les choses autrement quand ils sont confrontés eux-mêmes à cette réalité.   

Brigitte Aubonnet 
(20/08/15)    



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Lectures



Albin Michel

(Août 2015)
528 pages – 22,50 €



Livre de Poche

(Août 2016)
640 pages – 8,60 €





Gérard Mordillat,
né en 1949, est écrivain et réalisateur de cinéma
et de télévision.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia






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