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Dominique SAMPIERO

Le sentiment de l'inachevé


Respectant le cahier des charges de cette collection, ce récit est celui de l'enfance réelle ou rêvée de l'auteur. Ce qui est étonnant cette fois c'est la teinte plus « sexualisée » que nostalgique du récit. Cette histoire d'initiation s'ancre dans la pré-adolescence puis l'adolescence d'un jeune garçon, à l'heure de ses premiers émois physiques face à sa sœur d'adoption. Une histoire qui flirte autant avec la transgression et les tabous  qu'avec l'amour maternel, le désir de possession et la peur de l’abandon. Mais ce qui pourrait être dérangeant, par le sujet même, par la nature brute de certaines scènes, est dérivé et transformé par la narration poétique qui fait écrin à l'ensemble.

Jean-Claude est le premier garçon (alors que ses parents attendaient une fille) d'une famille modeste du nord de la France. Il vit dans l'ombre de ses parents, « Lepère », cheminot peu présent, et « Mamer », femme fragile et de nature inquiète, puis avec « Frère 1 » et « Frère 2 » (dont les prénoms ne nous seront même pas donnés) nés après lui. De nombreux enfants de la DDASS, des filles le plus souvent (pour combler la frustration maternelle ?) viendront compléter la tribu avec parmi elles, Laurence, du même âge que cet aîné, accueillie puis adoptée. Une gamine blessée, fragile, décalée voire attardée.
« Le premier jour de son arrivée à la maison, elle m'a d'abord bouleversé. [...] On aurait dit un chien perdu, abandonné par ses maîtres, de grands yeux noirs gonflés de tristesse et de vide. Son contact m'a déchiré. En l'approchant mes parois n'étaient plus étanches, j'ai coulé avec elle. [...] Elle était mon miroir et moi sa fracture dans le miroir, une brèche ouverte sur le néant [...] moi le fils aîné, l'enfant chéri, elle, la laideur doucement absente. »

Des frères et des autres fillettes, il ne sera pas question ici, mais Laurence, elle, émeut le garçon sage, secret, bon élève et passionné de lecture qui la prend sous son aile avant que l'attention fraternelle ne se change, dans ces temps sans mots ni images pour dire les choses du sexe, en attirance physique
« J’ose le geste d’écarter les tissus et la défense est faible. J’ose ouvrir et laisser jaillir mon sexe couvert de larmes déjà. J’ose la pénétrer aussi doucement qu’une langue dans un fruit ».
Et s'il n'y a aucune violence dans cela, l'amour et les sentiments y trouvent moins leur place que le désir, l'excitation de l'exploration et de la découverte. Sans trace de perversion, d’affolement des sens  ou de jubilation à bafouer l'interdit implicite, les deux adolescents semblent avec cette proximité physique se créer un monde à eux loin de tous et du quotidien, du vide et de l'ennui, un refuge clandestin où chacun pourrait devenir lui-même pleinement. Des étreintes qui rompent la solitude de ces deux « égarés », les apaisent, les aident à être et à grandir.

Dans ce Sentiment de l’inachevé, on trouvera aussi de superbes pages sur la relation à la mère, les vacances en pleine liberté à la campagne auprès des grands-parents, dotés par l'enfant des surnoms de « la Planche»  pour le grand-père communiste et « le Silure » pour la grand-mère « croyante en cachette » ou sur la confrontation à la mort.
« Quand ils sont morts, la Planche et le Silure, à quelques mois l'un de l'autre [...] le gris de leur regard est resté accroché aux revers de mes pensées. Comme un chardon égaré de leur jardin. Les gens s'éloignent un jour, pas la fleur de leur lumière, jamais. »

La langue travaillée, poétique et charnelle de Dominique Sampiero sait  magistralement faire jaillir l'émotion et le trouble de cette exploration des souterrains de la mémoire.
La scène originelle, celle de naissance du protagoniste, est un morceau d'anthologie absolument magnifique, le passage exprimant la prise de conscience de la féminité et du sexe qui s'impose à l'enfant d'à peine plus de dix ans (pour passer à l'acte précocement à une douzaine d'années) également.

Dominique Sampiero, avec le recul que donnent la distance et le temps, ne se cherche pas d'excuse pour cette relation socialement hors-normes mais la revisite et la questionne, tentant de traduire sans fard l'image de son désir d'alors et son éblouissement devant le corps féminin, pour conclure à l'aune de ses diverses expériences étalées sur toute une vie : « Faire l’amour est un soulagement, pas une relation. Le sexe n’apaise rien, mais installe un perpétuel sentiment d’insatisfaction ».

Tout d'abord surpris par ce texte fort et dérangeant, on s'introduit ensuite progressivement, presque clandestinement, par le subterfuge de la jouissance du verbe et de l'exacerbation des sens, dans cette intimité que l'auteur nous livre sans fausse pudeur mais avec délicatesse. 

Un texte intime, audacieux, rare et précieux, que l'intensité émotionnelle, la sensualité et la douceur rendent tout simplement bouleversant.  

Dominique Baillon-Lalande 
(02/06/16)    



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Lectures









Gallimard

(Avril 2016)
Collection Haute enfance
184 pages - 17,50 €











Dominique Sampiero,
né en 1954 dans le Nord, a été instituteur et directeur d'école maternelle. Poète, romancier, scénariste entre autres de Bertrand Tavernier (Ça commence aujourd'hui), il a reçu le Prix populiste pour Le Rebutant (Gallimard, 2003). Il est l'auteur de plusieurs dizaines de livres...



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