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Éric-Emmanuel SCHMITT

L'homme qui voyait à travers les visages



« Les déçus de Dieu sont des déçus de l'homme. En réclamant un dieu omnipotent, ils courent après un homme sans liberté. »

Le narrateur, Augustin Trolliet, est bien mal traité par son créateur, Éric-Emmanuel Schmitt. Pauvre jeune homme orphelin au physique ingrat – « Davantage long que grand, je ne dispose pas d'un corps mais d'une tige, une tige qui incline le poids de mon crâne, la nuque bossue, le cou cassé, ma silhouette évoque celle d'un portemanteau. » – il ne gagne rien en tant que stagiaire à Demain le journal local de Charleroi ; il a tout le temps faim et n'a pas de domicile, il dort dans une usine désaffectée. Il a pourtant un étrange don, celui de voir des morts, des fantômes, des sortes de créatures ailées qui volettent aux côtés de certains vivants.

Sa vie bascule dès les premières pages du roman puisqu'il va être à la fois témoin et victime de l'attentat qu'un terroriste commet au nom d’Allah sur la place principale de Charleroi.
Alors, de pauvre Cendrillon malmenée par le directeur de la feuille de chou où il végète, Augustin va devenir peu à peu la vedette, la mascotte du journal puisqu'il a vu "les auteurs" de l'attentat. Philibert Pegard (dont les initiales sont les mêmes que Ponce Pilate ; Éric-Emmanuel Schmitt a écrit un Évangile selon Pilate), le directeur va donc autoriser Augustin a fait ce dont il rêvait : interviewer des célébrités locales sur l'actualité. Il va d'abord tout "naturellement" rencontrer Éric-Emmanuel Schmitt avec qui il va avoir de longs entretiens sur les trois religions monothéistes et sur l'auteur des trois livres les plus lus et interprétés au monde, Dieu.
Augustin "révèle" à son "créateur" son don :
« – Monsieur Schmitt, depuis que vous êtes assis dans votre fauteuil, je vois de nombreux morts autour de vous.  […] Ici, Mozart. Là, Diderot. Charles de Foucauld trône au plafond. Colette paresse au bord du bureau. Milarepa n'a pas bougé, sauf quand vous avez évoqué les carnages bouddhistes en Asie. Molière fait les cent pas et Bach, Schubert, Debussy voltigent aussi. »

Un livre terriblement grave – Sommes-nous les jouets d'un dieu malfaisant ou Dieu nous a-t-il laissés entièrement libres ? Le message délivré aux hommes dans l'Ancien puis le Nouveau Testament et dans le Coran est-il dévoyé par les hommes où est-il déjà, dans son ambiguïté, porteur de violence et de haine ? – et un livre terriblement irrévérencieux et drôle.
Augustin, pauvre messie moderne, si seul, précaire, SDF, en forme de portemanteau ou portant déjà la croix de son martyre, va, non pas sauver le monde mais réaliser l'interview la plus folle de l'humanité, la plus impensable, où Dieu, après s'être vanté d'avoir inventé « une forme littéraire novatrice : la même histoire racontée de quatre points de vue. Je faisais narrer l'aventure de Jésus par Matthieu, Marc, Luc, Jean. Personne n'avait jamais osé ce procédé. » lui avouera : « J'ai mal à l'homme. »

Puis, de victime-témoin-vedette, Augustin va devenir suspect et tomber entre les mains de personnages savoureux comme le commissaire, si attirant, chargé de l’enquête : « Je baisse les paupières et hume son odeur. Le fumet de tabac se mêle à un parfum musqué, tandis que, dessous, çà et là, des fragrances acides, chaudes, charnelles, racontent son corps vif et nerveux. Sa sueur ne me déplaît pas. Sa virilité m'enivre. J'aime qu’il se tienne près de moi. […] Que j'aurais adoré l’avoir pour père... »
Pendant l'interrogatoire d’Augustin, l'auteur s'amuse à truffer le texte de références bibliques :
« – Ah mais il mord, l’agneau ! […]
– Tu as sans doute manqué d'un père, Augustin. […]
– Où habites-tu ?
– Nulle part. […]
Et voilà ! Je me liquéfie. Il enfonce le clou. »

Le personnage de la truculente juge d'instruction qui résout le problème de Dieu définitivement :
« – Quand j'entends Dieu parler, je deviens athée. Ah non, je rejette absolument un Dieu pareil. […]
– À quoi bon un Dieu si l'homme est libre ? Autant s'en dispenser... »

va aussi se pencher sur le cas Augustin ; deux figures, une masculine, une féminine complètent ainsi le tableau de famille qui manque tant à notre héros.

Un livre philosophiquement enjoué sur notre monde cruel parce que « La vie est une tragédie : autant la vivre en comédie. »

Sylvie Lansade 
(17/10/16)   



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Albin Michel

(Septembre 2016)
432 pages - 22 €




Éric-Emmanuel Schmitt,
né en 1960, normalien, agrégé de philosophie, docteur (thèse sur Diderot), romancier, nouvelliste et dramaturge, est l'auteur d'une trentaine de livres traduits en 43 langues. Plus de 50 pays jouent régulièrement ses pièces.



Visiter le site
de l'auteur :
www.eric-emmanuel
-schmitt.com




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