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Samira SEDIRA


Majda en août



« La pluie tombait, tiède et fine. Elle tirait sa petite valise à roulettes dans les flaques, sur le bord de la route; ses pieds étaient nus; ses joues noires de crasse. Le délire l’avait menée vers les rivages salés de son enfance, l’aveuglante lumière du Sud. »

Majda, cette femme à la dérive, n’avait pas vu ses parents depuis plus de trois ans, seulement quelques coups de téléphone convenus. Ils ne semblaient pas s’en préoccuper, acceptant que l’aînée de leurs sept enfants et leur unique fille, partie après son bac pour faire des études supérieures, vive ainsi, à Paris, loin du Midi de son enfance.

Son père, Ahmed Zad, un Algérien, venu en France en 1963 pour « en finir avec la misère », a fait toute sa carrière de travailleur immigré, intégré, dans le bâtiment. Sa femme, « Fouzia Zad, épouse esseulée dans un pays étranger, a cru bon de fabriquer des enfants pour s’occuper ».

À présent retraités, et les enfants partis, ils vont soudain se retrouver face à leur fille de quarante-cinq ans, meurtrie, au bout de son énergie, après des années de lutte avec sa détresse, sa souffrance, sa maladie. L’hôpital vient de les prévenir : elle a été retrouvée errant sur la route, non loin de chez eux. Cette hospitalisation en psychiatrie, les heurte. Leur fait peur. Ils vont cependant essayer de l’accueillir le mieux possible et s’occuper d’elle. Le père est désemparé, la mère ressent le devoir de protéger son enfant.
Alors, dès que Majda pourra sortir de l’hôpital, elle ira habiter chez eux, dans cet appartement HLM où elle est née.

Viendrait-elle se réfugier, rechercher cette aide qui lui aurait été refusée jadis ? Voudrait-elle faire prendre conscience à ses parents de ce qu’elle a vécu petite fille, et qu’ils n’ont pas voulu comprendre, ou même imaginer ? Ou veut-elle simplement se reposer ?

Ce retour va non seulement susciter les souvenirs, mais aussi faire remonter à la surface, sinon aux consciences, ce qui dérangeait tellement alors  pour avoir ainsi justifié bien des non-dits.

Majda aimait tant sa mère… « Pour se rapprocher d’elle, elle était prête à tous les sacrifices. Dès huit ans, elle se mit à la suppléer dans les nombreuses tâches ménagères. Profitant de sa servilité naturelle (pour elle, c’était une qualité), Fouzia la réquisitionnait chaque jour, prétextant un mal de dos ou une insomnie […] Majda tombait régulièrement dans le panneau. Quand on est, comme elle, affamée de caresses, avoir l’illusion d’être aimée vaut toujours mieux que la certitude de ne pas l’être. Elle ne demandait pas la lune, un peu d’attention, une misère, un rien aurait fait l’affaire. »

Le retour sur le parcours d’enfance de cette petite fille, aînée de six frères, dans une cité qui a ses habitudes, ses règles, son conformisme, va éclairer le lecteur et lui laisser percevoir avec beaucoup de réalisme et de sensibilité, le tableau de cette famille maghrébine dans la France des années soixante-dix à quatre-vingt. La négligence, ou simplement l’ignorance des conséquences de ce que peuvent vivre leurs enfants, ont fait que ces parents, aimants au demeurant, n’ont su donner l’attention indispensable.
Leur regard n’a pas vu ! Voit mal ! Ne veut pas voir ?

Après avoir réussi ses études et travaillé quelques années, Majda, s’est progressivement recroquevillée dans son studio parisien, quand elle n’était pas hospitalisée… « Je sens toujours où ça va craquer dedans. Je le sens, mais je le sens, j’ai un flair, tu verrais, ça ne loupe pas ! » Avait-t-elle précisé à une compagne de bar qu’elle retrouvait à l’occasion, avant de quitter Paris.

C’est ici l’histoire d’une vie, d’une douleur qui a laissé le délire s’infiltrer, et décrite avec une pudeur des mots qui rapporte d’une façon sensible l’anamnèse d’une longue souffrance.
Car Samira Sedira nous parle de ces blessures négligées, voire ignorées, qui non seulement, peuvent ralentir une éventuelle cicatrisation, mais encore ouvrir des brèches qui empêchent les cicatrices de se former.

Son écriture, ponctuée d’accents poétiques, vient nous toucher, mais ne nous protègera pas de l’amertume qui s’en dégage.
Outre la justesse de ton de l’ensemble, les titres de certains chapitres sont aussi évocateurs : « Sur la route des enfers, le ciel est dégagé » ou « Ce sont les oiseaux qu’on empaille », ou encore « Les innocents ont parfois les mains calleuses ». Leurs sous-entendus, comme leurs énigmes invitent à nous rapprocher davantage de cette auteure.

Samira Sedira avait déjà brossé le portrait d’une femme blessée dans son précèdent roman,  L’odeur des planches, et toujours avec cet accent de vérité qui retenait déjà l’attention.

Il ne s’agit ni d’un réquisitoire contre un milieu social, ni d’une démonstration de ce qu’un obscurantisme, dû probablement à de nombreux facteurs convergents, peut provoquer même si on rajoute un zeste de lâcheté…
Mais… peut-être est-ce quand même à cela qu’il faut penser dans cette histoire, un peu à tout cela… et en même temps.

Alors, en cette fin de mois d’août, la pluie revenue est-elle différente ?
« La pluie tombe sans discontinuer. Au pied des immeubles, les nids-de-poule se remplissent, forment des lagons troubles. Les bouches d’égout débordent, dégueulent des feuilles mortes, des os de poulet brisés, des rouleaux de papier toilette.
Majda aime la pluie. La regarder tomber lui démêle les idées. »

Anne-Marie Boisson 
(18/04/16)    



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Editions du Rouergue

(Mars 2016)
160 pages - 16 €










Samira Sedira,
née en Algérie, formée à l'école du Centre dramatique national de Saint-Étienne, est comédienne et écrivain. Majda en août
est son deuxième roman.








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son premier roman :


L'odeur des planches