Sabine pendant les cours s'ennuie. Elle dessine et n'écoute pas. C'est
une élève de cinquième solitaire et rêveuse qui est
en train de lâcher. En primaire elle était plutôt bonne élève,
en sixième elle rattrapait son bas niveau par une docilité et une
bonne volonté apparentes qui la sauvait mais cette année, seuls
les cours d'anglais et de dessin, parce qu'elle aime ça, parviennent à
retenir son attention. Elle se sent de plus en plus "étrangère"
dans ce collège qui semble de fait l'exclure. Un monde qui n'est pas le
sien.
Suite à l'agacement du professeur de français face à sa
distraction, sa mère va être convoquée au collège.
Sabine ne le veut pas. Sa mère gagne sa vie comme femme de ménage.
"Encore si elle était africaine ou algérienne, ou asiatique
; [...] mais sa mère, c'est juste une Française minable à
la peau blanche [...] obèse, informe, mal-habillée, pas montrable".
Elle n'est pas comme la mère des autres. Elle lui fait honte.
Elles habitent toutes les deux dans un deux-pièces HLM des années
cinquante, de l'autre côté du périphérique. Un monde
où on ne fait pas la différence entre un livre et "Paris-Match".
Depuis deux ans, le père est parti vivre avec une autre femme, dans un
autre quartier. "Sauf qu'il doit un peu payer pour elle, Sabine, sa
fille. Pour son entretien, dit la mère, le même mot que pour le
ménage ! [...] Un salaire en somme que Sabine reçoit pour être
née de gens qui ne s'aiment plus." "Sabine se souvient
de beaucoup de choses. Des mauvaises et des bonnes, car il y en eut malgré
ce que dit la mère. La petite préfère ne se souvenir que
des mauvaises, des cris, des disputes. Les autres font plus mal. Elle évite."
Est-ce le ras-le-bol de sa vie au seuil de la puberté, "un dégoût
informulé du monde où elles vivent, de l'injustice qu'elle sent
qui leur est faite, à elle, à sa mère, à d'autres"
ou la peur de cette rencontre scolaire qui pousse la gamine à faire l'école
buissonnière et à aller à la découverte d'un Paris
qu'elle ne connaît pas très bien et qui l'a toujours fascinée
?
Ce matin-là, elle ose. Prend le métro toute seule et décide
finalement de passer voir son père, près de la station République.
Elle ne se souvient plus très bien où il habite mais son numéro
de téléphone est dans son carnet. C'est une voix neutre qui répond
à son appel et l'informe qu'il n'y a plus d'abonné... Le père
pour elle n'existe plus, elle s'en doutait déjà sans y croire.
Où peut-elle aller maintenant ?
Dans le métro elle entend un jeune couple d'Anglais qui va à
Notre-Dame. Elle aime l'anglais et décide de les suivre discrètement,
les perd de vue, visite seule Notre-Dame, puis les retrouve par hasard.
Ils lient connaissance. Ils sont jeunes, profs tous les deux, l'un enseignant
le dessin et l'autre la littérature, ils sont en vacances pour la journée,
aiment Paris, et percevant les perturbations qui agitent la petite décident
de la prendre momentanément sous leurs ailes.
"Comment se fait-il qu'elle se sente si libre devant cette Anglaise
? Pourquoi est-ce si facile de parler à ceux qu'on ne connaît pas
alors que les gens de notre vie quotidienne sont pour nous comme des portes
fermées ?"
Avec eux, elle est bien. "Ils pourraient être ses parents. Et
pas seulement pour une question d'âge mais parce qu'ils sont juste comme
elle aurait pu rêver qu'ils soient. Elle n'est plus rien qu'une petite
fille heureuse, même si ce n'est que pour un moment."
Ils l'entraînent vers le Marché de la poésie, place Saint-Sulpice.
"Tu sais, lui dit justement John, la poésie tu devrais beaucoup
aimer ça, si tu aimes la peinture... C'est tout à fait comme la
peinture, la poésie, une autre façon de dire, de montrer la beauté
des choses. De faire passer l'émotion."
Elle en repartira avec des cadeaux : des cartes postales représentant
des peintures choisies par John et une anthologie de poésie française
offerte par Kate avec un baiser.
Pendant ce temps la mère, après avoir fait un malaise, a été
ramenée chez elle par sa patronne. Raté le rendez-vous avec le
professeur de français tout en aigreur.
Quand Sabine retrouve l'appartement de la rue Bakounine, c'est un amour sans
mesure qui l'étreint pour cette femme simple mais tendre qui est étendue
là, confiante et sans défense.
Au cours de cette journée bien des choses ont changé pour l'adolescente.
Elle a grandi, assez pour décider de s'occuper de sa mère et appeler
le médecin, et... pour retourner en classe le lendemain.
Les cartes postales et le choix de poèmes sont à portée
de sa main quand le doute....
Un court roman de facture assez classique, délicat, qui à partir
du sentiment d'abandon et d'échec d'une adolescente, aborde la complexité
des relations familiales, l'inhumanité du monde scolaire, les sentiments
de honte et d'injustice ressentis par les laissés pour compte, les humbles
qui rament pour seulement survivre.
L'auteur nous fait pénétrer dans l'intimité de la fugueuse
qui, comme tant d'autres, ne sait plus comment se situer, pour, de façon
résolument optimiste, lui redonner confiance et espoir par l'intermédiaire
de ce jeune couple d'Anglais rencontré par hasard. La force de ce roman
c'est que l'analyse et la morale en sont quasiment absentes. C'est uniquement
par le biais de l'art, peinture ou poésie, que le mal-être et les
doutes de l'héroïne vont être dissipés. Comme une lumière
entrevue dans l'obscurité, tout au bout du tunnel.
Le style est sobre, l'écriture limpide et les phrases courtes, le rythme
assez soutenu pour que l'on ne s'ennuie pas une minute à suivre l'escapade
de la petite.
Tous les personnages, que ce soit Sabine, sa mère, Kate ou Madame Lemagre,
le professeur de français, sonnent juste et trouvent résonance
en nous.
Un livre simple qui aborde sans angélisme un sujet somme toute banal
mais avec fraîcheur et sensibilité.
Une légèreté et un parfum d'humanité qui nous laissent
un sourire sur les lèvres une fois le livre refermé.
Dominique Baillon-Lalande
(29/08/13)