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Jean-Claude TARDIF


La douceur du sang



La douceur du sang est un recueil de douze nouvelles sur le thème de la famille et de la filiation.

Celle-ci se conjugue avec l’inconnu pour le gamin hanté par l’abandon du père (Rue des fleurs), cet autre né sous X (Il aurait suffit) ou celui dont la mère se prostitue et qui ne sait qui est son géniteur (N'allez pas croire que cela est facile).
« Elle ne m'en parlait pas. Jamais je ne l'entends me dire qu'il sentait bon le légionnaire, qu'il l'avait aimé toute la nuit...et plus encore, bien qu'elle écoutât Piaf à longueur de phono. Édith Gassion venait de mourir et ma mère ne cessait de me répéter que sa voix serait éternelle. Quant aux hommes qui passaient chez nous, c'est peu dire qu'ils étaient légion. » (N'allez pas croire que cela est facile)

Parfois, c'est la présence ou l'image du père qui pèseront de façon déterminante, comme pour le fils du cordonnier dont la mère a quitté le foyer et que son père a élevé dans l’amour du travail bien fait (Sur le métier...), le fils de boucher que l'odeur du sang a poursuivi toute sa vie (Fils de boucher),  celui dont le père célèbre lui est envié mais dont il découvrira bien plus tard l'envers de sa personnalité (Hagiographie), ce fils d’assassin rejeté dans la cour d'école (Difficile d'être le fils d'un assassin) et cet autre qui, traumatisé par le souvenir de la violence paternelle, s'interdira définitivement de paternité (Récidive).
« Était-il si facile de mourir ou de tuer ? » comme s'interroge Helmut en regardant la photo du père « si beau dans son bel uniforme de cuir noir, sa tenue d'officier. » (Difficile d'être le fils d'un assassin)

Mais les rôles peuvent s'inverser et c'est alors le père qui prend la parole, se heurte au silence du fils (Monsieur Charles, Pas ce soir) ou part à sa recherche (Le marcheur).
« J'ai appris depuis longtemps que les crampes d'estomac sont des avarices de bien nourris. Le mien ne crie  plus famine ; je n'ai même plus de cri en moi, à l'intérieur [...] Notre corps nous ressemble [...] le mien, pas plus que moi, n'a la force de se plaindre. La misère enseigne l'insidieux. Un mot que beaucoup d'entre nous ont du mal à articuler, ne prononcent pas. Moi, je le connaissais ce mot avant, j'en savais le sens plein comme je croyais connaître celui de ma vie, celle que je partageais alors comme on partage une illusion en sortant d'un cabaret ou du théâtre. » (Monsieur Charles)

Les mères quelquefois s'avèrent tout aussi destructrices, trop ou mal aimantes, et pas toujours innocentes (Comme une parenté, Rue des fleurs).

Le secret, le silence, l'alcoolisme, la frustration, un mauvais choix, deviennent des armes, se font substances vénéneuses qui abîment les êtres, imprimant en eux des traces indélébiles.
Parfois, cela pousse au crime ou conduit à la folie.

« On ne se défait pas facilement des personnages de Tardif. Non pas que ceux-ci brillent d'un éclat particulier ou incarnent un pouvoir les portant au-dessus du commun. Des gens bien ordinaires, que l'on pourrait qualifier de peu si, sous leur apparente banalité, ils ne dissimulaient quelques secrets  savamment cultivés dont ils font leur raison d'être » comme l'écrit Jean-Claude Bourles dans la préface de cette belle édition.
Et si parfois, au détour d'une phrase, il nous arrive de nous reconnaître dans l'un des personnages prisonniers de ce lien inexorable et puissant qui nous unit malgré nous à cette famille que l'on aime ou que l'on déteste, c'est dans une juste distance, loin du pathos ou de jugement, dans une intimité sensible et respectueuse frappée au sceau de la fraternité.

L'humour, la recherche et la fluidité de la langue, l'énergie "coup de poing" que l'auteur parvient à insuffler à ses nouvelles de quelques pages, la façon dont il jalonne ses récits par de légères  allusions et indices qui suggèrent les drames plus qu’ils ne les racontent, se conjuguent pour produire doutes et émotions chez le lecteur à partir de ces tranches de vie plus proches du journal intime que du fait divers. 

Jean-Claude Tardif fouille les non-dits, les mensonges ou les silences, cultive le doute, explore les failles et gratte avec obstination les cicatrices encore à vif, mais c'est la souffrance et l'amour qui lui restent sous les ongles, mêlés au sang.

Des histoires bien troussées, singulières et d'un noir absolu qui, malgré la cruauté sous-jacente, ne se départissent jamais d'une profonde humanité.

Un excellent recueil, cohérent et intense, servi par une superbe écriture.

Dominique Baillon-Lalande 
(29/06/15)    



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Le vent se lève

80 pages - 13,50 €











Jean-Claude Tardif,
né en 1963 à Rennes dans une famille ouvrière, auteur d'une quinzaine de recueils de nouvelles et autant de poésie, anime depuis 1999 la revue littéraire A l'Index.



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