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David TOSCANA L'histoire se déroule au nord du Mexique, dans le petit village abandonné d'Icamole, implanté du mauvais côté de la montagne, celui où il ne pleut jamais. Sur cette terre assoiffée, parfois, on trouve des fossiles, venus dans ce désert attester qu'autrefois y était installée la mer. La sécheresse pourtant y est telle qu'un service régulier de livraison publique d'eau venue de l'autre versant a été mis en place pour secourir la population. Remigio, lui, est un privilégié qui parvient encore à
tirer un peu d'eau du puits installé sur son terrain. Juste assez pour
ne pas se déshydrater et continuer à arroser l'avocatier planté
près de la maison. Mais alors qu'il opère discrètement
pour ne pas avoir à partager, il s'aperçoit qu'un obstacle obstrue
le conduit, empêchant la manuvre. L'homme, furieux, utilise tous
les moyens à sa portée pour décoincer le corps étranger
et le remonter à la surface. C'est alors le cadavre d'une
fillette inconnue qu'il découvre. Son innocence et sa beauté troublent
le sauveteur trop tardif. Le lendemain, Melquisedec, le livreur d'eau fait une annonce publique lors
de sa distribution : une petite fille de Villa de Garcia qui se promenait avec
sa mère, la veuve Monterrey, s'est perdue. La police est à sa
recherche et tout événement, attitude ou étranger qui pourrait
paraître louche devra être signalé au commissariat. Celui-ci, prénommé Lucio, a été autrefois nommé
bibliothécaire par la grâce du gouvernement. L'opportunité
de cette extension de bâtiment que le paysan avait construite avant la
mort de sa femme et laissé vide depuis, avait vite décidé
les fonctionnaires à réquisitionner lieux et propriétaire
au service de ce programme de développement de la lecture décidé
par les autorités. Le fait d'être limogé avec l'extinction du programme publique,
donc privé de salaire et d'approvisionnement, ne dégrisera pas
l'homme dorénavant incapable d'abandonner ce qui a transformé
sa vie et la remplit. C'est effectivement dans les livres qu'il recherche aussi,
inlassablement, son épouse défunte et c'est à travers eux
qu'il tente de la faire revivre. Quand son fils vient lui révéler l'histoire tragique de la fillette,
c'est donc tout naturellement dans les volumes de sa bibliothèque qu'il
cherche les conseils à lui donner afin de régler le problème
posé par le corps de la victime et par l'enquête qui va suivre.
C'est là qu'il doit trouver la clef de l'énigme. S'il n'est pas certain que les divagations du père aident vraiment le fils à y voir clair, celui-ci en ressort quand même conforté dans son choix d'enterrer le corps entre les racines de son avocatier la nuit suivante, avec douceur, respect et tendresse. "Il aime à caresser l'écorce des fruits de son arbre, il aimerait avoir une femme qui ait cette peau, douce et brillante, bonne à lécher, une peau impossible chez les femmes d'Icamole après tant de soleil, tant de vent sec, tant de travail dans les basses-cours ou sur les coteaux à cueillir les laitues sauvages. [ ] Il n'y a rien de si doux que ses avocats, c'est pourquoi il y a des nuits où il en met plusieurs dans son lit et se couche avec eux." Lors de la visite de routine des policiers au village, le père, à
travers la lecture d'extraits littéraires divers sur des disparitions
d'enfants, aiguillera l'enquête du lieutenant Aguilar, volontairement
ou non, vers le porteur d'eau. La mère de la victime, grande lectrice, connaisseuse et inconditionnelle
de l'uvre de Pierre Lafitte, aiguillonnée par les propos des forces
de l'ordre sur cet étrange bibliothécaire, finit par pousser la
porte de Lucio pour lui parler. C'est une femme marquée par le malheur,
déjà absente au monde, une héroïne tragique faite
d'idéalisme et de renoncement tout droit sortie des pages de son auteur
fétiche .... Le roman progresse au fil des découvertes littéraires L'originalité de ce roman tient au choix de l'auteur de mêler
à son histoire originelle (le meurtre, la découverte du corps
et l'enquête) des extraits romanesques imaginaires, mêlant réalité
objective et fiction. La construction même du récit qui appose
puis substitue à la parole de Rémigio, acteur en prise avec le
crime, celle du bibliothécaire, va dans ce sens puisque Lucio, hors cadre,
considère que tout, événement ou situation, ne peut que
faire écho à un livre. Non seulement pour y trouver une explication
de ce qui est mais aussi comme anticipation de ce qui va advenir. Par cette mise en abyme de romans dans le roman, par cette conjugaison de la technique du trompe-l'il à celle de conteur dont il est coutumier, David Toscana donne prise à l'imagination sur le réel, s'amuse à brouiller les cartes et semer le trouble chez le lecteur mais surtout suscite une réflexion sur la littérature elle-même, sur ce qui la constitue mais aussi sur sa fonction. L'écrivain passe sans avertissement de la narration de l'histoire aux passages romanesques extraits des livres de la bibliothèque, sans aucune précision de ponctuation ou de mise en page. Rien non plus ne distingue les dialogues du reste du récit. C'est au lecteur de comprendre si Lucio parle, ou s'il raconte un livre qu'il a lu et qui lui rappelle la situation devant laquelle il se trouve. Le lecteur initialement déboussolé n'a plus que le choix de se laisser porter par le charme indéniable de cette langue et d'en saisir le sens caché. Derrière tout cela, on retrouve, esquissés, imbriqués, certains thèmes chers à l'auteur et à la littérature latino-américaine en général : la critique de la religion, la dénonciation du pouvoir militaire, l'humour face à une société ou l'absurdité fait loi, la sensualité des femmes... Mais, comme dans les autres romans de David Toscana, l'évocation de cette terre mexicaine, riche d'histoire mais aussi pauvre économiquement que culturellement, qui crève sous le soleil face à l'indifférence, prend également une vraie place. El último lector est un roman original qui propose aux lecteurs
l'expérience singulière et jouissive d'une immersion sans repères
dans le fait littéraire. Cette abolition de frontière entre réalité
et fiction surprend de prime abord puis amuse, séduit et captive, totalement. Dominique Baillon-Lalande (22/06/13) |
Sommaire Lectures Editions Zulma Z/a - Collection de poche 192 pages - 8,95 € Roman traduit de l’espagnol (Mexique) par François-Michel Durazzo
Une bio-bibliographie détaillée est disponible sur le site de l'éditeur : www.zulma.fr Découvrir sur notre site d'autres livres du même auteur : Un train pour Tula L'armée illuminée |
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