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Justine est née à cinq ans, au sortir d'un coma qui lui a tout fait oublier. C'est au Caire, auprès d'un homme qui se dit son père, un chrétien d'Orient qui l'éduque avec les versets des Évangiles et refuse, que ce soit en français ou en arabe, de prononcer certains mots, parmi lesquels "mère" et "Liban", leur pays d'origine. Un chrétien grec orthodoxe mythomane et arabophobe dont la profession est de restaurer des icônes anciennes et l'idéal de ressusciter l'empire byzantin. Pour lui, l'arabité est « un fourre-tout de nations délimitées au prorata de bénéfices dont ces mêmes Arabes abusés, utilisés, bafoués pour la plupart, sont les derniers à jouir. Il faut remonter aux sources. La source c'est l’ère pré-islamique, lorsque nous étions pour la plupart des levantins byzantins. Ah, heureux temps des six premiers siècles après J-C, quand Mahomet, sa propagande, ses descendants, ses califes, ses sultans et autres conquérants n’existaient pas. [...] Levant est le seul mot réellement porteur de notre culture. [...] Tout vaut mieux que cette notion d'Arabe à laquelle nous ont amalgamés ceux qui ont eu tout intérêt à nous homogénéiser.[...] Dis-toi que tout ce qui est survenu ensuite n'est que le fruit d'un colonialisme éhonté. » La tante Mado, veuve handicapée sans enfants qui l'accueille dès que son père doit s'absenter, l'y aidera, par la tendresse qu'elle est seule à lui dispenser et par l'évasion et la lecture du monde qu'elle s'est façonnée à travers les livres et plus particulièrement les dictionnaires. « À trop se complaire dans ce qui blesse, nous fabriquons ce qui nous tue » lui dira ainsi un jour Thierry pour la faire réagir. Alors tandis que son père arc-bouté sur un monde passé remplace l'histoire par la religion et l'amour par l'autorité et la peur, Justine échappe progressivement à son influence jusqu'à partir sans son accord faire des études de Lettres au Liban. Quand, après avoir vécu en recluse pendant ses études, Justine déménage et s'installe chez Dalal, une photographe, militante libano-palestinienne qui se bat contre le mensonge politique, féministe libérée et hyperactive, celle qui est tellement obsédée par son histoire personnelle qu'elle en devient aveugle à ce qui l'entoure, qui privée de son passé, s’invente un espace-temps dans l’écriture et s’en satisfait, va franchir une autre étape et découvrira, comme en écho à ses propres aspirations à la vérité et la liberté, combien d'illusions brisées jalonnent l'histoire du Moyen-Orient. « Des rêves d'émancipation aux violences les plus absurdes, de la Grande Syrie laïque d'Antoun Saadé aux ruines de Beyrouth, il lui faudra découvrir ce que les armes et les ceintures d'explosifs auront coûté à sa propre enfance pour espérer trouver un jour sa place dans le chaos du monde. » (Éditeur) Ce très beau livre de Hyam Yared, dont L'armoire des ombres et Naître si mourir m'avaient déjà séduite, mêle avec une écriture aussi romanesque que poétique l'histoire personnelle de Justine avec sa problématique des origines et celle de son émancipation avec l'histoire du Moyen-Orient de l'empire byzantin au printemps arabe, en les croisant habilement dans leur chaos, leurs mensonges, leur violence et leurs aspirations à la liberté. Mais si ce roman foisonnant est sans aucun doute un roman historique documenté sur le Moyen-Orient et un pamphlet assumé contre les extrémismes de tout poil, les dictatures politiques ou religieuses, le libéralisme tout-puissant, contre le poids des traditions dans les sociétés patriarcales, il est aussi une très belle ode à la littérature, l'imagination et la lecture comme réponse à l'obscurantisme et l'oppression. Une fresque impressionnante, passionnante et émouvante à découvrir absolument. Dominique Baillon-Lalande (04/05/16) |
Sommaire Lectures Fayard (Janvier 2016) 440 pages, 20 € Livre de Poche (Juin 2018) 480 pages – 7,90 €
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