Retour à l'accueil du site | ||||||||
Zâl est né en Suisse d’une mère hongroise qui mourut alors qu’il était encore très jeune. C’est un orphelinat privé payé pour lui par un inconnu qui a pris en charge son éducation et sa scolarité. Le garçon y a aussi appris le piano, s’y est entraîné à conjurer la peur et s’est pris de passion pour les oiseaux de la volière installée dans le parc dont il a appris le langage. Lors de son défi au-dessus du lac de Constance, un homme s'installe dans l’ombre pour regarder avec une attention soutenue le performeur. Il n’est pas là par hasard. Exilé en Autriche depuis une vingtaine d’années, il a contribué anonymement à financer sur Internet la performance à laquelle il assiste. La légèreté de Zâl et la jeunesse de son public dérangeraient presque ce Hongrois alourdi de trop de mémoire, cadenassé par ses souvenirs douloureux, hanté par son pays natal, « pays mythe qui assèche l’âme de ceux qui veulent agrandir son territoire et brûle les mains de ceux qui souhaitent le morceler. [...] Cœur déchiré de la vieille Europe, avec la barbarie fasciste qui battait dans une de ses oreillettes et la soumission stalinienne qui battait dans l’autre. » Après avoir déposé Andras, Zâl s’endort avec ses oiseaux. Le lendemain l’acrobate-poète s’installe dans une friche industrielle abandonnée entre stade et aéroport pour faire son show. Le spectacle est comme toujours éblouissant mais Téa, plus accro que jamais, qui a finalement décidé de le rejoindre et Andras toujours à rôder autour de lui, sont cette fois ses seuls spectateurs. Un raté qui laisse Zâl mortifié au point de chercher consolation dans l’alcool non sans quelques échanges tendus avec le vieil homme dont il supporte mal le rapport obsessionnel à l’histoire de son pays, avant de se réfugier dans les bras de la jeune fille pour finir la nuit. C’est une capitale hongroise en pleine effervescence et contradictoire qui les attend à l’arrivée. Parallèlement à l’exubérante jeunesse européenne débarquant à la gare ou dans l’île pour faire la fête, défile un cortège de migrants. « Des hommes et des femmes épuisés, des enfants en sueur, s’accrochent à ce que chaque jour leur octroie de survie. Leur passé est enfoui dans les ruines d’Alep, et ils rêvent d’un avenir à Berlin. La peur au ventre avec leurs sacs troués, leurs vêtements d’emprunt, leurs regards de réfugiés, ils piétinent le sol de l’Europe frileuse dont la Hongrie est le symbole. Ils sont le présent douloureux du monde. » Si les jeunes festivaliers, ressource financière notable pour la cité, reçoivent un accueil généralement bienveillant, ce flot permanent d’étrangers, lui, divise la population. Face aux associations locales qui se sont constituées pour aider familles et voyageurs précarisés et en souffrance par la distribution de repas et de vêtements, les néo-fascistes arrogants et haineux agitant le chiffon de la peur réclament l’expulsion de ces intrus et les harcèlent dès qu’ils en ont l’occasion. « Rien que du banal au cœur d’une Europe dont les valeurs deviennent si fragiles qu’elle se protège à nouveau derrière des barbelés à lames de rasoir » mais qu’importe pour les réfugiés, « les cris et les insultes seront toujours moins dangereux que les éclats des bombes barils d’Assad le boucher. » Ce roman sur l’Histoire de la Hongrie à travers le prisme personnel d’Andras se trouve, illuminé par la présence du deuxième personnage-clé, Zâl, auquel tout l’oppose. Andras usé et malade, écrasé par un passé familial qui se confond avec celui de son pays natal, ancre le récit dans la réalité historique et politique de l’Europe centrale des cinquante dernières années. Zâl, le jeune funambule, tourne le dos à son passé d’orphelin, se positionne hors du temps, de l’espace, du monde et des sentiments, fait le vide en lui pour trouver la paix intérieure. Tel une icône ou un pur esprit, il mène sa quête de vérité en suivant les traces de l’oiseau-roi en marge de toute réalité tangible. Ces deux personnages et leur relation, les discours en boucle d’Andras face au silence indifférent ou agacé de Zâl la tête perdue dans les nuages, dessinent parfaitement la bipolarité du livre, entre passé et avenir, histoire personnelle et universalité. La construction du récit, son style fluide juxtaposant narratifs, images et dialogues émaillés de maximes inventées, la présence forte et quasi constante d’une bande son musicale diversifiée (comptines, musique électronique utilisée par Zâl dans ses spectacles, classique avec Mozart et Bach et enfin concerts de Robbie Williams ou Goran Bregovic au Sziget) se conjuguent pour retenir l’attention du lecteur. Et malgré la gravité du sujet ce road-movie singulier à travers l’Europe centrale, grâce à la sensibilité de son traitement, au charisme de ses personnages et à la présence poétique de Zâl, s’avère étrangement chargé d’amour, de joie et d’un optimisme réconfortant. La nuit des enfants qui dansent, à partir de cinquante ans d’Histoire de la Hongrie, embrasse largement les questions universelles et intemporelles de l’invasion, l’immigration, l’exil et des dérives identitaires et le fait avec une acuité grave. Mais aux registres de la lamentation et de la dénonciation qui auraient pu en constituer la teinte dominante, Franck Pavloff a ici préféré les couleurs de la solidarité et de l’espoir. Jamais il ne fouille avec complaisance ou dégoût la couche profonde de l’horreur, du malheur et de la douleur. Sans édulcorer la réalité ou s’en détourner mais sans s’appesantir dessus, les pages sombres de l’Histoire ou de la vie des protagonistes sont abordées avec pudeur et retenue, laissant vite place à la poésie, l’humour ou la légèreté juvénile proposés comme des taches de lumières qui en cernant l’ombre donnent sa force et son équilibre au tableau. Un jeu de contrastes efficace qui s’arrête sur la beauté, la générosité, l’amour ou la jeunesse pour dire en creux la barbarie, l’injustice, la peur ou la souffrance. Alerter les esprits non les désespérer, dire la chaleur du partage pour appeler à la solidarité plutôt qu’évoquer l’aigreur stérile et la violence de la haine, enfourcher un rêve d’envol et d’oiseaux pour conjurer la peur qui cloue au sol et enferme. C'est dans la conviction que les êtres et les communautés seraient tous reliés par des liens invisibles, dans cet espoir en la vie et en l'homme que ce roman fraternel puise sa force. En cela qu'il touche au cœur son lecteur et fixe des images tenaces dans sa mémoire. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Albin Michel (Août 2017) 288 pages - 19,50 €
Wikipédia Découvrir sur notre site : Le pont de Ran-Mositar L'enfant des marges Matin brun est une nouvelle où la montée de l'intolérance et du fascisme est symbolisée par l'interdiction de posséder un chien qui ne soit pas brun. Au cœur de ce texte, le mécanisme d'acceptation de l'inacceptable. Quand le personnage commence à se poser la question de la désobéissance ou de la révolte, il est déjà bien tard... Editions Cheyne 12 pages - 2,50 € |
||||||