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Christophe CARLIER

L'eau de rose


C’est un superbe exercice de style que nous propose Christophe Carlier. Sigrid est écrivaine et elle écrit des romans à l’eau de rose : « Depuis plusieurs années, elle s'était vouée à la littérature sentimentale. Faute d'appartenir à la race dorée des auteurs à succès qui collectionnent les prix et campent à la télévision, elle se cantonnait à un genre mineur, le roman rose, décrié mais indispensable à notre époque où le rêve est rare. »
Comme dans son précédent roman, Ressentiments distingués, nous retrouvons une île et un lieu clos.
En effet, Sigrid décide d’aller dans un hôtel un peu vieillot sur une île de la mer Egée. C’est la fin de l’été, il y a peu de monde mais elle croise plusieurs pensionnaires dont Gertrude, une jeune femme, habillée de noir, au regard énigmatique et pénétrant. Sigrid se sent étrangement attirée par elle. Va-t-elle être prise au piège dans le réel qui côtoie le roman sentimental qu’elle est en train d’écrire ?

Sigrid avance dans son roman à l’eau de rose : « – C'est toi qui as mauvaise mémoire, ma chérie, répondit-il avec un sourire désarmant. Je te rappelle que ta belle-mère m'a embauché pour veiller sur toi, et que je n'ai rien d'autre à faire d'ici à ton mariage, que de mettre mes pas dans les tiens.
La réponse était pertinente. Quant à la manière dont il murmurait "ma chérie" avec un brin d'insolence, Priscilla la jugea délicieuse. Pour un peu, elle aurait téléphoné à sa belle-mère pour la remercier d'avoir embauché un homme aussi séduisant.
Mais, outre le fait qu'elle détestait appeler Dorothée, elle sentait bien qu'Adriano avait interprété les termes de son contrat de façon assez personnelle. » 

Nous découvrons la vie de plusieurs pensionnaires. Un pharmacien et sa femme s’ennuient toute l’année dans leur officine : « Depuis des années, ils souffraient d'un ennui sans remède, contre lequel ils ne se révoltaient plus. Les notables qu'ils fréquentaient pendant l'hiver les assommaient. Le printemps réservait ses distractions à d'autres. L'été, ils optaient chaque fois pour une destination nouvelle, redoutant le moment où ils auraient parcouru tous les pays visitables. »

Il y a aussi un archéologue : « Ayant appris par expérience que ses passions suscitaient l'indifférence de ses semblables, il s'était muré dans le silence. À quoi bon tenter d'intéresser autrui ? L'aurait-on questionné sur son activité qu'il aurait soupçonné quelque ironie sournoise. »

Une femme de chambre a vécu une histoire malheureuse qui circule toujours dans l’hôtel.

Le passé s’invite dans le présent : « Certaines nuits, quand le vent se levait, Sigrid entendait des sanglots étouffés. Était-ce une impression ? Un rêve ? Un souvenir qui revenait d’une autre vie ?
Un petit garçon pleurait en silence.
Ou une fillette.
En tout cas, un enfant.
Qui n’appelait pas – ou qui appelait et qu’on n’entendait pas. »

Christophe Carlier surfe à merveille entre le roman en construction de Sigrid, écrit en italique, et la réalité qui flirte avec le fantastique. L’équilibre est périlleux mais parfaitement maintenu jusqu’à la fin.

Brigitte Aubonnet 
(12/04/19)    



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Lectures







Christophe CARLIER, L'eau de rose
Phébus

(Janvier 2019)
240 pages - 18 €







Christophe Carlier,
né en 1960, a déjà publié une douzaine de livres.



Bio-bibliographie sur
Wikipédia




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