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Patrice DELBOURG


Fils de Chamaille


La lecture d'un livre de Patrice Delbourg est toujours réjouissante, son Fils de Chamaille ne fait pas exception. Lecture réjouissante car lecture en compagnie de vieux comparses : le Petit Robert et le Gros Larousse de chaque côté du lutrin et Emile assis sur l'étagère  qui se désole du lexique en haillons du lecteur. Certains béjaunes des lettres, avec leurs casoars de St-Cyrards renchériront en disant que les lecteurs de banlieue – de surcroît s'ils sont vagabonds – ont la glotte bien rétrécie et que leur pauvreté lexicale est semblable à celle d'une perruche à collier. Possible. N'empêche que si je leur dis, à ces coqueplumets, que leur pantalon gode sur l'empeigne de leurs souliers, ils me prendront pour un sapajou. Moi, ces mots-là, ça m'a tout de suite transporté au fin fond de mon enfance quand ma mère nous disait qu'elle allait ravauder sa jupe qui gode ou qu'elle trouvait que le marchand de peaux de lapin avait une gueule d'empeigne.

Le pouvoir des mots, le poids des tournures bien chantournées, des maux aussi... le fils de Chamaille nous fait assister à un duel bien singulier entre un vieil écrivain qui n'a plus de lecteurs, Aimé Ratichaud, et le jeune Gaétan Malinois, directeur littéraire des éditions Bonnemaison & Cie. Aimé est une espèce de vieux bougon, de vieil humaniste misanthrope; il nous fait immanquablement penser à Paul Léautaud, avec ses manies, ses idées fixes, ses coups de gueule, mais sans ses chats. Un Parisien pur jus cet Aimé, et en dépit de ses algies pudentales il arpente encore  les rues de Pantruche (côté impair) et s'adonne au nectar des cornues sur le zinc des gargotes. Gaétan Malinois, lui est un jeune  'moderne' prag-ma-tique adepte du roman avec des histoires linéaires ;on l'imagineavec une tête  de start-upeur. Et le duel commence... Aimé va assiéger plusieurs fois par semaine les locaux de son éditeur qui refuse obstinément de le publier.  Un feu d'artifice d'invectives dans une langue étincelante va réjouir le lecteur jusqu'à la fin. Le vieux va déclamer une mer de sarcasmes  contre son interlocuteur (ce qui par ailleurs, n'empêche pas celui-ci de se résigner aux sarcasmes de sa mère). Gaétan va ressasser à l'infini son discours pragmatique et sera qualifié tour à tour par le vieux bougon de bélitre profane, de mirliflore, de bléchard, de ruffian de pacotille, de gommeux, de coqueplumet, de brummel de quincaille, de jeune cocodès, de graine de béjaune... Un régal

Le narrateur arbitre ce duel en toute partialité. Adepte des mots "sans culotte, sans bande à cul" comme chantait Ferré,on sent qu'il aime bien ce vieil Aimé. Et puis, cette petite musique, comme un refrain, qui lance une sentence à la Rochefoucauld du genre "Les viscères couinaient dans leur conque", "Un reliquat de rata de la veille", "Méchante tristesse des jours impairs", "L'obélisque est sous la trousse", "Je me sentais vestiaire à l'Alcazar", "Tout prosateur en carafe dissimule un insurgé en rafale"…

Du beau travail.Le lecteur soupçonne une contrepèterie et ne la trouve pas, une anagramme, qui sait ?  Tant pis, il reviendra plus tard avec des maux d'excuse après avoir accroché son chapeau sur une patère austère.

Croyez-moi, Le fils de Chamaille est un indice pensable.

Yves Dutier 
(13/02/19)    



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Lectures








Le Castor Astral

(Février 2019)
304 pages - 18 €





Patrice Delbourg,
né en 1949, poète, romancier, chroniqueur, animateur d'ateliers d'écriture, a publié de nombreux ouvrages.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia




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