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Gaëlle JOSSE

Une femme en contre-jour


Vivian Maier, décédée à 83 ans en 2009, silhouette anonyme dans les rues et les parcs de Chicago, est devenue une photographe mondialement reconnue à titre posthume. Nul ne savait qu’elle laissait derrière elle plus de 120 000 photos prises dans les rues, la plupart sous forme de négatifs parce qu’elle n’a pas toujours eu les moyens de financer les tirages sur papier… Au-delà de cette étonnante découverte, Gaëlle Josse creuse, fouille, recherche, et nous offre à la fois un très beau portrait de femme et un récit des origines, une histoire de famille peu ordinaire, pleine de violence et de folie, d’allers-retours entre New-York et les Hautes-Alpes…

C’est d’abord la grand-mère, Eugénie, qui part en Amérique en 1901, fuyant le village de Saint-Julien-en-Champsaur, laissant sa fille de trois ans, Maria, aux bons soins de sa sœur.
Dans la petite communauté française qui accueille les jeunes filles aux Etats-Unis,  Eugénie rencontre une femme qui aura, sur elle et les deux générations suivantes, une influence aussi grande qu’imprévisible. « Jeanne Bertrand, débarquée ici à l'adolescence, originaire de cette même vallée, est devenue une célébrité, ou presque. Photographe de talent, semble-t-il, puisque le Boston Globe l'a consacrée ainsi à sa une du 23 août 1902. Ouvrière en usine, puis assistante d'un photographe local qu'elle éclipse bientôt de son talent. Le studio où elle exerce connaît alors un vif succès. »

En 1914, Eugénie est cuisinière pour une famille aisée et sa fille, Maria, qui a maintenant dix-sept ans, peut la rejoindre. Eugénie voudrait que Maria devienne couturière dans la famille qui l’emploie mais la jeune fille a d’autres rêves. Elle rencontre Charles Maier et les premiers temps sont magiques. La liberté, l’amour, la griserie d’une nouvelle vie… Ils se marient en 1919. Mais l’alcool, la violence, le manque d’argent gangrènent leur jeune couple. Un premier enfant, Karl, naît en 1920 et une fille, Vivian en 1926. C’est elle que les galeries et critiques considèrent aujourd’hui comme une photographe aussi importante que Willy Ronis ou Robert Doisneau.

Eugénie, Maria, Vivian… C’est le parcours de ces trois femmes que Gaëlle Josse retrace, des parcours chaotiques, des allers-et-retours entre les États-Unis et la France, des confrontations avec la violence et la folie. Vivian entretiendra toujours des relations complexes et conflictuelles avec Maria sa mère, Charles son père et Karl son frère. Les figures positives seront surtout Eugénie, la grand-mère, et en France Marie-Florentine, la sœur d’Eugénie. Sans oublier la figure tutélaire de Jeanne Bertrand, la photographe.

Vivian s’intéresse peu aux hommes, ne se marie pas, devient gouvernante d’enfants. Elle reste dix-sept ans dans la même famille. Pendant ses loisirs et les promenades avec les enfants, elle marche et elle photographie. Les gens dans la rue, beaucoup de portraits, quelques autoportraits aussi par des cadrages originaux, comme son reflet dans des vitrines.
« Son travail se focalise sur les visages, le portrait, et sur les exclus, les pauvres, les abandonnés du rêve américain, les travailleurs harassés, les infirmes, les femmes épuisées, les enfants mal débarbouillés, les sans domicile fixe. Parfois, c'est une femme des beaux quartiers, saisie d'un œil ironique avec ses fourrures et ses bijoux, qui la regarde d'un air mauvais, ou un homme d'affaires, cigare et costume croisé, qui la toise avec agacement. Elle possède ce sens du détail qui dit tout d'une histoire, d'un monde, d'une vie. »
« Elle n'est pas une militante ni une engagée revendicatrice. C'est une solitaire, mais dont l'œil dit et montre plus que bien des discours. Ouvriers, chômeurs, personnes âgées, enfants livrés à eux-mêmes, toutes les détresses trouveront refuge dans son objectif. »

Ce qui reste surprenant et mystérieux, c’est qu’elle n’a jamais montré son travail à quiconque, jamais soumis ses photos à un studio, une agence ou un magazine, jamais cherché le moindre signe de reconnaissance…

À la fin de sa vie, ces sont les enfants qu’elle a élevés qui se sont occupés d’elle et lui ont procuré un toit. « Qu'est devenue la femme à la démarche énergique, à la curiosité sans fin, passionnée par son temps, qui multipliait les photos pendant la guerre du Vietnam et le scandale du Watergate, qui affichait ses sympathies socialistes et se réjouissait de la chute du président Nixon, qui cherchait inlassablement à sauver du néant, de l'oubli, le visage des exclus, des marginaux, des êtres usés, brisés, dans lesquels elle retrouvait peut-être, chaque jour un peu plus, le reflet de sa propre histoire et les traits de son visage ? »

C’est le récit de cette passion mystérieuse, de cette vie pleine de mensonges, de secrets et de paradoxes, que l’écriture de Gaëlle Josse nous permet d’approcher, d’entrevoir, au fil d’un texte aussi passionnant qu’émouvant. C’est une œuvre, déjà riche d’une dizaine de titres et récompensée par de nombreux prix, que cette autrice construit avec finesse et détermination. Chaque nouveau livre est la promesse d’un grand bonheur de lecture. À suivre…

Serge Cabrol 
(14/03/19)    



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Lectures








Noir sur Blanc

(Mars 2019)
Collection Notabilia
154 pages - 14 €








Gaëlle Josse
diplômée en droit, en journalisme et en psychologie clinique,
a déjà publié
une douzaine de livres
(poésie et romans).


Bio-bibliographie sur
Wikipédia





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consacré à
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(plusieurs galeries
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www.vivianmaier.com