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Le narrateur qui s’exprime à la première personne se décrit comme « un spécimen de plus appartenant à cette espèce mélancolique. Celle des libraires qui veulent devenir écrivains. » Serait-il tombé sous le charme de la belle jeune femme à l’accent indéchiffrable si elle ne dérobait avec agilité, assurance et régularité, des livres aux titres qui lui parlent ? Si lui-même ne s’était pas mis hors du monde en se retirant dans le seul territoire où il se sent en confiance, celui de l’écriture ? Un jour enfin il saute le pas, fouille la belle à sa sortie du magasin, trouve les volumes dérobés cachés sous ses vêtements. Elle craint la police et joue la séduction. Ils se parlent, un baiser rapide le ligote à elle autant qu’il l’éblouit. Lorsqu’il apprend du concierge le départ du couple pour l’aéroport, il fonce. Mais c’est malheureusement pour les voir passer la porte d’embarquement après un échange bref mais animé du père avec Ahmed, l’autre libraire de la ville qu’il connaît vaguement. L’enjôleuse a apparemment laissé aussi libre cours à ses talents chez la concurrence. Perturbé par cette scène et ce départ, le jeune libraire visite son collègue qui ne se fait pas prier pour lui confirmer les vols commis par la jeune femme mais ajoute que lui, par contre, s’était jusque-là toujours fait rembourser par "le vieux mari" les livres subtilisés. Il évoque aussi un nouveau séjour dans la ville dans l’année. Quand celui-ci enfin surviendra, leur histoire ne reprendra pas à l’endroit où ils l’avaient laissée. La visite de celui qui se dit non le père mais le grand-père de Severina dans la librairie pour régler les dettes de sa fille cleptomane, de pénibles circonstances qui les amèneront tous trois aux urgences de l’hôpital, viendront précipiter les choses. Au plaisir des retrouvailles et au goût commun pour la littérature s’ajoutera une complicité d’une toute autre nature. Mais avec elle n’est-il pas prêt à aller au bout du monde ? Cette histoire d’amour obsessionnel entre une femme aussi insaisissable que belle et un poète déconnecté du réel raconté par tableaux comme un puzzle garde jusqu’aux dernières lignes son parfum de mystère. Les cent pages de ce court récit ne lèveront jamais totalement le voile sur ce personnage féminin adulé fort énigmatique. Est-ce une malade ou une manipulatrice? Une victime à protéger ou une aventurière sans scrupule ? On est bien loin ici du réalisme ou de l’analyse psychologique. Lire Rodrigo Rey Rosa est toujours une singulière expérience. Ici, comme à son habitude, il use avec élégance et malignité d’érudition et d’onirisme pour entraîner dans un dédale son lecteur qui finira par prendre plaisir à s’y perdre. Face à ce conte fantastique mystérieux où toutes les pistes sont suivies de front, ne reste alors à celui-ci qu’à accepter de perdre pied, envahi par une confusion et un trouble qui ne sont pas sans faire écho à ceux habitant le protagoniste amoureux, prisonnier des mots et des livres. Une liste des trente-cinq livres cités au fil du récit se trouve en fin de l’ouvrage. Jorge Luis Borges et Paul Bowles, figures tutélaires de l’auteur, y reviennent plusieurs fois. Une fiction inquiétante, fascinante et envoûtante à déguster avec délectation. L’écrivain guatémaltèque et traducteur Rodrigo Rey Rosa a reçu le Prix national de littérature guatémaltèque Miguel Ángel Asturias en 2004 et le Prix ibéro-américain de littérature José Donoso en 2015. Dominique Baillon-Lalande (15/05/19) |
Sommaire Lectures L'Atinoir 120 pages - 134 €
Bio-bibliographie sur Wikipédia Découvrir sur notre site un autre livre de Rodrigo Rey Rosa : Aucun lieu n’est sacré |
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