Il y a deux sortes de personnes qui peuvent parler avec justesse et précision de la vie en prison, celles qui sont incarcérées et celles qui y travaillent tous les jours. Cédric Cham, fort heureusement pour lui, appartient à la deuxième catégorie et son quotidien de conseiller d’insertion lui permet de connaître intimement l’angoisse du détenu primo-arrivant et ensuite les rituels, les règles, les comportements, les pressions auxquels il devra se soumettre de gré ou de force.
« Il ferme les yeux un instant. Pour chasser l'image de l'endroit où il se trouve. Sauf que l'odeur de sueur et de crasse qui émane de ce fourgon cellulaire le ramène à sa triste réalité. Une longue ligne droite vers l'inconnu. Vers la maison d'arrêt.
À travers la vitre, l'établissement pénitentiaire se découpe.
Lukas se sent déjà écrasé par l'architecture des lieux. Il ne distingue que les murs d'enceinte. Impossible de voir au-delà. Ainsi que le socle d'un mirador. Le sommet semble se perdre dans le ciel. Comme un géant prêt à lever le pied pour l'écraser. Sans autre forme de procès. »

Lukas, cadre dans une PME, marié avec Camille, père d’une petite Léana, se retrouve en détention préventive pour un homicide qu’il n’a pas commis. Pas commis mais avoué, reconnu, assumé !
Le point faible de Lukas, c’est son jeune frère, Eddy, qui s’est toujours conduit comme un chien fou, qui a quitté la maison au plus tôt, a choisi la rue, les mauvaises fréquentations, l’argent, la drogue...

C’est Eddy qu’on voit prendre le volant à huit heures du matin après une nuit de sexe et de cocaïne, Eddy qui conduit d’une main en cherchant son paquet de cigarettes de l’autre, puis son briquet, qui ne regarde plus la route et sur un passage clouté renverse un gamin d’une douzaine d’années en chemin pour le collège mais ne s’arrête pas. Deux témoins ont la présence d’esprit de relever le numéro.

La voiture appartient à Lukas, c’est lui que les policiers viennent arrêter. Pour protéger son frère, il reconnaît les faits, admet avoir eu un accident. C’est en garde à vue qu’il apprend que l’enfant est mort. « Garçon. Décédé. Ces deux mots lui brûlèrent l'âme. Oh putain, Eddy ! Qu'est-ce que tu as fait ? Il ne s'agissait pas d'un simple accident routier. »
Il pourrait revenir sur ses déclarations mais il n’en fait rien.
Il se sent une dette envers son frère. Il doit le protéger. Il est persuadé qu’il s’en sortira mieux que lui en prison… Autant de raisons qui ne vont pas convaincre Camille qui comprend mal qu’il choisisse son frère avant sa femme et sa fille.

Lukas entre donc en prison sans savoir pour combien de temps. Il va connaître la cohabitation à trois dans neuf mètres carrés, les dangers de la promenade où se règlent toutes sortes de comptes, les pressions d’un caïd pour qu’il rende des services impossibles à refuser, tout un univers qui n’était pas le sien, qui va le transformer en loup parmi les loups.

En chapitres alternés, on suit Lukas à l’intérieur des hauts murs et les autres, dehors, qui affrontent comme ils peuvent la situation.

Dehors, Eddy ne se calme pas pour autant. Il aimerait, il essaie mais sans succès, toujours prêt à commettre une nouvelle erreur pour réparer la précédente, de galère en galère. Sa vie à elle seule serait déjà un roman noir…

Dehors, Camille ne pardonne pas, espace les parloirs, et Léana ne veut plus parler à son père au téléphone.

Dehors, il y a aussi les parents d’Arthur, le gamin renversé. La douleur, la dépression, la colère, la soif de vengeance…

Cédric Cham nous entraîne encore une fois dans un univers bien noir, d’une écriture juste et implacable, nous faisant partager les émotions des uns et des autres, toute une palette de sentiments qui nous broient le cœur, sans la moindre lueur d’espoir au bout du tunnel. Noir c’est noir !

Serge Cabrol 
(26/11/20)