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Jeanne BENAMEUR


La patience des traces



Dès les premiers mots, on est frappé par le style de Jeanne Benameur. Des phrases courtes, condensées à l’extrême, l’écrin d’une pensée serrée, dense, musclée. Aucun bavardage, pas de mots inutiles, se concentrer sur l’indispensable et y gagner en force. Laisser la place au silence, si important pour Simon.
Dans ce roman le silence est omniprésent : celui de Simon, psychanalyste dont le métier le voue à l’écoute attentive et silencieuse des patients qui le consultent. Et le silence qui s’impose entre les mots, entre les formules choc, dont le lecteur a besoin pour assimiler, imaginer ce qui est évoqué sobrement.
« Peu à peu, il a appris à écouter chacun de ses patients comme on écoute un chant. Un long poème balbutiant. […] Avec pour unique outil le silence. Peu à peu il a appris à entendre quand quelque chose cherchait à venir, d’une séance à l’autre. Il a aidé au miracle laborieux du lien qui s’élabore. »

Simon vit une étape charnière dans sa vie. Il a choisi d’arrêter son activité. Il ne peut s’empêcher de faire un bilan. « Tant d’années de sa vie à écouter le mystère de toute vie. À s’en approcher. Tant d’années à accepter qu’au fond de toute clarté, l’opaque subsiste. C’est le plus difficile. Pour l’analysant comme pour l’analyste. » Il a été un psychanalyste humble et respectueux « quelle que soit la petitesse ou la banalité de ce qui s’est raconté sur son divan. »

Simon souhaite partir en voyage. Pour répondre à son désir d’absolu dépaysement, un ami lui réserve un séjour dans les îles Yaeyama, à l’extrême sud du Japon. Un lieu où les traditions sont bien vivantes, et le tourisme absent. C’est la pause radicale dont il rêvait.
Puisqu’il ne comprend pas la langue, il n’est pas tenté de chercher du sens. « Il retrouve l’état sauvage d’avant l’alphabet. »
Avec son hôte qui ne parle pas français, il s’aventure dans d’étranges conversations où il se sent libre de parler, où la langue inconnue lui fait un abri.
Il écrit dans son carnet. Le silence de l’écriture lui convient. C’est un abîme profond à l’intérieur de soi et pour la première fois il ose s’y laisser glisser. Dans cette aventure la peur n’est pas absente. « Est-ce qu’il a toujours eu peur ? Est-ce qu’il y a toujours eu ça, tapi au fond de lui, à lui interdire de lâcher la barre ? »
Pendant son séjour dans cette île enchantée, Simon trouve la paix de l’âme. Il se sent accepté avec simplicité par ses hôtes ce qui lui donne la force de se remémorer les drames qu’il a vécus et de porter un regard différent sur lui-même.

En corrélation avec le silence, l’autrice et son héros attachent beaucoup d’importance aux voix. Celle de Mathilde, sa collègue, dont la voix calme permet d’entendre vraiment, celle de Louise, son amour perdu dont il aimait la vibration de la voix. Celle de Lucie F. son ancienne patiente dont la voix « creuse sa mémoire ». Il savait identifier au ton de sa voix qu’elle avait franchi « une marche plus basse dans cet escalier sans fin ».
Dans un autre roman de Jeanne Benameur, L’enfant qui, les personnages ne peuvent pas ou ne veulent pas parler.  Il semble que Jeanne Benameur soit l’écrivaine de l’indicible, des paroles jamais prononcées, du silence.

Le lecteur est comme envoûté par le style, par l’atmosphère dans laquelle baigne Simon. Et, comme lui, on s’y sent si bien que lorsque le roman s’achève, on le quitte à regret.

Nadine Dutier 
(17/01/22)    



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Actes Sud

(Janvier 2022)
208 pages - 19,50 €

Version numérique
14,99 €





Jeanne Benameur

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