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C’est amusant dans cette rentrée d’automne de voir deux livres faire le lien entre littérature et coiffure. D’un côté, il y a Clara lit Proust de Stéphane Carlier où un livre oublié par un client change la vie d’une coiffeuse et ici, on accompagne un client obligé d’enseigner Flaubert à un coiffeur. Proust et Flaubert dans des salons de coiffure, ça change des magazines habituels… Pourtant le narrateur, ici, n’est pas un grand lecteur et au moment où commence ce roman, il n’a jamais lu Flaubert, il a « juste rédigé au collège une fiche de lecture sur Madame Bovary, sans avoir ouvert le bouquin ! » Et le collège, c’est loin puisqu’il a maintenant trente-neuf ans. C’est le hasard qui lui fait rencontrer Flaubert. Il a rendez-vous chez le coiffeur, il est en avance, il flâne. Et là, surprise ! « La Tentation de saint Antoine. Le titre patiente sur un trottoir, devant une librairie, dans un bac de livres à un euro. » « Je ne comprends pas ce que Flaubert fout là. Le plus grand écrivain français fait le trottoir. Je pousse la porte et demande au libraire comment il sélectionne les livres qui se retrouvent dans son bac. Il me répond que ce n'est pas lui, mais la justice du temps qui les rapproche du caniveau. Mais alors pourquoi Flaubert ? Il me regarde, agacé : C’est donc avec Flaubert dans la poche qu’il va chez le coiffeur. Il n’aime pourtant ni Flaubert ni les coiffeurs. « Ce que je supporte le moins, ce sont les conversations. Pour que le coiffeur se taise, je baisse les yeux comme si j'étais assoupi. Ça ne l'empêche pas de jacasser. Alors un jour, j'ai osé. À sa question "Comment je vous les coupe ?", j'ai répondu : "En silence." Du coup, mon coiffeur ne m'aime pas non plus. » Et comme il arrive en retard après le passage à la librairie, il est refoulé par la femme du coiffeur qui a la rancune tenace. C’est à partir de là que s’instaure une relation triangulaire originale et passionnante entre le narrateur, le coiffeur et le libraire, où chacun va se livrer peu à peu, où nous allons découvrir leur passé et ce qui rend cette relation possible entre trois personnages très différents et peu tournés vers les autres jusque-là. Avec, bien sûr, Flaubert au cœur du triangle. Avec l’aide du libraire, le narrateur va s’efforcer de découvrir qui est Flaubert, pourquoi il faut lire Flaubert, ce que voulait dire Flaubert, ce qu’il a écrit à ses amis dans sa correspondance, il va partir sur les traces de l’écrivain normand, et ensuite il répète à Fabrice tout ce qu’il a emmagasiné sans toujours le comprendre lui-même. Bien sûr, pour le lecteur, Oscar Lalo réussit encore un roman passionnant avec en filigrane une sorte de "Flaubert pour les nuls" aussi amusant qu’érudit, et un jeu émouvant au sein d’un trio dont chaque membre a besoin des autres pour enrichir sa vie et élargir son quotidien. Des relations fortes se tissent entre les personnages, mélange de mensonges et de vérités, de désirs et de regrets, un cocktail fort en émotions sous une épaisse couche de pudeur qui les rend très attachants. On ferme le livre avec un sourire et un soupir et on attend le prochain mais, d’ici là, on peut toujours se (re)plonger dans Flaubert à la lumière des découvertes du narrateur… Serge Cabrol (26/09/22) |
Sommaire Lectures Plon (Août 2022) 160 pages - 18 €
Découvrir sur notre site ses précédents romans : Les contes défaits La race des orphelins |
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