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Au bord de l’océan Arctique, Noum, l’un des premiers autochtones Nenets de la péninsule de Yamal à avoir été formé par les Soviétiques pour combattre avec l’Armée rouge en Afghanistan, la « star de la toundra », « un brave parmi les braves, une vitrine de la propagande officielle, une figure emblématique pour la jeunesse et pour le régime », avait décidé il y a dix ans de quitter l’armée pour retrouver sa terre natale et renouer avec la culture nomade de ses ancêtres éleveurs de rennes. Ce choix de vie au plus près de la nature en harmonie avec les traditions anciennes, en chaman solitaire se contentant de gestes simples, utiles et respectueux de son environnement pour survivre, s’adonnant longuement à la contemplation et la méditation et tentant d’établir une communication harmonieuse avec le monde du vivant et l’esprit des anciens, lui fera vite perdre son statut de héros pour celui de vieux fou archaïque auprès des notables locaux sédentarisés de la ville et des jeunes Nenets russisés, happés par la modernité et la société de consommation comme son neveu Micha. Un jour, bravant les rafales de vent et glissant sur une terre détrempée, le chaman se rend au sommet d’une butte qu’il considère comme sacrée afin de prier et consulter l’esprit de ses ancêtres au sujet d’un projet d’implantation d’une exploitation gazière à proximité qui détruirait la réserve naturelle environnante ce qui le préoccupe jour et nuit depuis qu’il en a connaissance. C’est alors qu’un glissement de terrain d’une quinzaine de mètres charriant terre et pierres se produit devant lui, révélant l’entrée d’une grotte jusqu’alors restée invisible. Une voix semble appeler l’homme en transe qui y pénètre et y découvre la riche sépulture d’une femme à la peau noire et aux cheveux crépus conservée intacte dans le permafrost depuis des milliers d’années. Certain que c’est là le signe que ses prières ont été entendues et que son juste combat est par cela encouragé et validé, Noum s’engage auprès de « sa reine » à combattre résolument ce projet qui serait fatal pour sa sépulture, sa terre et son peuple. L’homme ébloui perçoit simultanément qu’avec cette apparition quasi magique le moyen d’empêcher, ou au moins de retarder, l’ouverture de l’exploitation gazière se présente à lui, mais pressent aussi l’importance qu’une telle découverte peut avoir pour la communauté scientifique internationale comme pour les Nenets. Mais, comme s’en doute Noum, Micha, chauffeur local et homme de main de Sergueï, l’homme d’affaires russe qui pilote le projet gazier destructeur, a alerté celui qui porte tous ses espoirs d’une vie meilleure sur la découverte de son oncle et l’arrivée prochaine de son ami universitaire. L’industriel, aventurier plus ou moins mafieux qui fait l’interface pour le gros client russe signataire de cet important contrat d’exploitation gazière, est prêt à tout pour ne pas laisser filer cette opportunité d’intégrer enfin la cour des puissants. Il lui faut frapper vite et fort. Dans son 4x4, avec ses armes, de la dynamite et son pitbull bien entraîné, il attend de pied ferme l’illuminé et ses renforts... L’immersion dans le roman est immédiate et brutale avec la scène du glissement de terrain, celle de la prodigieuse découverte de « l’Africaine de l’Arctique » par Noum et l’exposé qu’il lui fait sur le projet gazier dévastateur qui menace son territoire. Ensuite, Wilfried N’Sondé s’attardera, le temps que les renforts scientifiques arrivent, à dresser le décor tout en nous familiarisant avec son chaman charismatique, contemplatif et empathique avec la terre qui l’a vu naître. L’adrénaline, en écho à l’anxiété ressentie par Noum face à l’avancée du projet et aux échéances qui s’annoncent mais aussi à l’impatience et la fébrilité enthousiaste qui animent l’équipe scientifique réunie par Laurent, remontera brutalement jusqu’à ce que le rythme se fasse à proprement parler haletant à partir du moment où le chaman, Laurent, Cosima et Silvère se retrouvent dans le viseur de Sergueï et son chien. Cette adéquation productrice de tension entre le rythme, la musique du texte et le sens alimente en permanence le suspense et tient le récit de part en part. La dynamique que Wilfried N’Sondé crée par la succession rapide de courts chapitres qui ne nous laissent jamais le temps de souffler, vient en renfort. Pour porter son récit, l’auteur s’appuie sur six personnages de haute tenue (Noum, les trois scientifiques, Sergueï et Micha) qui à leur façon font tous avancer l’histoire, incarnant chacun un itinéraire de vie. Ce n’est pas tant leur profil psychologique pris individuellement qui intéresse ici l’auteur mais ce qu’à l’instant présent ils nous disent sur leur rapport aux autres, à la nature et au monde. L’écologie est ici le thème premier. Femme du ciel et des tempêtes aborde les questions environnementales par le biais du réchauffement climatique qui fait fondre la glace des pôles, de l’extraction de minerai et d’énergies fossiles dont nos sociétés sont de plus en plus dépendantes, de la pollution par les déchets, de la préservation de la faune et la flore et, plus globalement de la fragilisation de notre planète par l’homme qui veut tout domestiquer. Il faut repenser l’humain dans son environnement. Wilfried N’Sondé à travers son texte nous questionne : l’être humain qui croit que tout lui appartient parce qu’il est un être supérieur n’est-il pas une espèce comme une autre qui se doit de ne prendre à la nature que ce qu’elle peut reconstituer ? Peut-on, au risque d’un effondrement total, dilapider les ressources et maltraiter la terre nourricière pour assouvir nos besoins les plus futiles ? N’aurions-nous pas intérêt pour les générations à venir à mieux nous adapter à la nature et non le contraire, à l’observer, l’écouter, la préserver et la protéger ? Si l’auteur, qui explique volontiers que la découverte en 2019 d’une femme noire d’il y a 8000 ans au Danemark est à l’origine de son personnage de la Reine noire de Yamal, nous parle ici beaucoup de sciences et de ce qu’elles nous apprennent du monde et de nous-mêmes, il pointe aussi du doigt la fragilité de nos certitudes si souvent remises en cause par les avancées de la recherche. Entre raison scientifique, monde visible et invisible, croyances populaires et forces mystérieuses de l’esprit, l’auteur se garde bien de trancher. Pourquoi choisir ou opposer au lieu de concilier ? Femme du ciel et des tempêtes abolit délibérément l’espace et le temps. Outre ce Grand Nord à « la vie exubérante et sauvage, libre » où se déroule la majorité de l’action, on y voyage beaucoup (Puy- de-Dôme, Lyon, Angola, Afghanistan, Congo, Allemagne…). L’auteur y passe d’un territoire à l’autre comme il le fait pour les personnages de son roman choral, traversant 8000 ans d’histoire, avec quelques haltes, entre origines et présent, sur le passé de ceux qui animent son récit. Ce récit qui de façon ludique nous interroge sur notre monde et les lourds enjeux auxquels l’urgence climatique nous confronte aujourd’hui est un roman d’aventures moderne et palpitant qui de façon dynamique entremêle au combat écologique, l’amour, les sciences et un message philosophique sur l’humain, le vivant, le partage et l’harmonie. Le lecteur lui se régale. Dominique Baillon-Lalande (10/08/22) |
Sommaire Lectures Actes Sud (Août 2021) 272 pages - 20 € Version numérique 14,99 € Actes Sud / Babel (Août 2023) 272 pages - 8,70 €
Bio-bibliographie de Wilfried N'Sondé sur Wikipédia Découvrir sur notre site d'autres romans du même auteur : Fleur de béton Berlinoise Un océan, deux mers, trois continents |
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