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Patrick PÉCHEROT


Pour tout bagage


Arthur, le narrateur, part sur les traces du passé pour savoir ce que sont devenus les membres de la petite bande de cinq lycéens dont il faisait partie dans les années 70. Il va plus particulièrement se pencher sur l’année 1974, date à laquelle ils ont commis une grosse bavure, un crime involontaire, tuant d’une balle de pistolet un homme qu’ils ne connaissaient pas. Comment se sont-ils retrouvés à dix-sept ans avec un pistolet à la main ? D’où venait cette arme ? Qui a tiré ? Pourquoi ? C’est ce qu’Arthur nous raconte ou plus exactement il le raconte à Edmond Vuillat, l’homme qu’ils ont tué.

« Tu veux savoir, Edmond. Tu veux comprendre pourquoi le choc dans ta poitrine, le bond en arrière, la douleur fulgurante et le néant... C'est bête comme chou. La balle t'a fauché sans raison. Nous, tes assassins, n'avons de circonstance atténuante que notre bêtise crasse. Pas glorieux. Ta mort n'est pas glorieuse. Pour t'expliquer, il faut ouvrir la boîte à souvenirs, y piocher des fragments de mémoire, des morceaux d'histoires. Ça fera un drôle de pêle-mêle sur ma table de travail. Des objets, des coupures de presse, des photographies. Beaucoup de photographies. Elles semblent si anciennes, et ceux qui y figurent si lointains... On se reconnaît à peine. La vie a passé, on tentait de la repeindre en trompe-couillon, d'effacer les taches de sang. Le contexte, la jeunesse, n'est-ce pas, la jeunesse et les temps différents...
Peine perdue, elles sont là, les images. Le pire est qu'à les regarder on regretterait nos airs niais, nos gueules d'anges, nos chairs fermes. Même la suffisance idiote qui nous faisait donner des leçons à la terre entière.
La boîte à souvenance ouverte, elle est impossible à refermer. Alors j'ai étalé les photos, les articles, les vestiges, j'ai mélangé le tout. Et j'y farfouille. »

Penché sur le passé, Arthur présente les protagonistes, décrit les lieux et les situations, rappelle l’atmosphère de l’époque, les films, les chansons, tout ce qui faisait leur quotidien, constituant ainsi un livre de mémoire, un témoignage précis et documenté sur une période charnière, la fin des Trente Glorieuses, la fin d’un sentiment de libération et de l’esprit de Mai 68. La déception d’une jeunesse qui arrive après la fête…

Pour comprendre la mort d’Edmond, il faut se replonger dans le contexte politique. En 1974, le général Franco était encore vivant pour une année et imposait toujours sa dictature en Espagne. Cette année-là, il a condamné à mort et fait exécuter par garrottage deux militants d’extrême gauche. Plusieurs autres opposants étaient en prison et devaient bientôt être jugés.
En France, une organisation, le GARI, décide d’enlever le directeur de la Banque de Bilbao à Neuilly pour demander une rançon et la libération des prisonniers espagnols. Leur action ne fonctionne pas comme prévu sans doute parce qu’un élément infiltré renseigne la police.
Arthur et ses amis admirent la détermination du GARI et, faute de pouvoir agir comme eux, décident de donner une leçon au traitre, de lui faire peur, de lui faire regretter sa trahison. Malheureusement, Edmond Vuillat, qui n’a rien à voir avec tout ça, se trouve au mauvais endroit au mauvais moment…
« Ta mort n'était pas au programme, Edmond. Aucune mort n'était au programme. »
« Plan merdique et blablas foireux, notre armée des ombres faisait branquignole. On posait en guerilleros, on était bidasses en folie. Nanars ambulants... Nanarchistes, voilà, nous étions des nanarchistes. » 

Plus de quarante ans après, pourquoi faire ressurgir le passé ? C’est parce que Paul, l’un des cinq lycéens, recyclé au Parti socialiste après 81 et devenu directeur d’un journal de gauche, a contacté Arthur parce qu’il reçoit depuis peu d’étranges messages. Un correspondant anonyme lui envoie, comme un feuilleton, les chapitres d’un livre à paraître, Les Nuits de plomb, où il révèle tous les détails de la mort d’Edmond. Paul sait que ce livre va faire exploser sa carrière et sa situation.  Qui est ce correspondant anonyme si bien renseigné ? Et pourquoi ce livre, maintenant ? Pour le savoir, Arthur remonte toutes les pistes, nous emmenant à Mantes, Saint-Malo ou Genève, sur les traces de ses anciens amis qu’il n’a pas revus depuis 1974, dont certains sont morts. Il va aussi rendre visite à la fille d’Edmond Vuillard. Quand ils l’ont tué, il sortait d’une bijouterie où il avait acheté la montre qu’il comptait offrir à sa fille pour sa communion.

Patrick Pécherot nous offre encore un livre émouvant et passionnant, une fiction construite sur un contexte historique et social bien documenté, comme il l’a déjà fait au fil d’une dizaine de volumes de la Série Noire, une peinture d’époque vue par un narrateur désabusé, frustré de rêves jamais aboutis et de combats perdus avant même d’être menés, qui survit depuis ses dix-sept ans dans les regrets, la culpabilité et l’amertume, qui ne se reconnaît pas dans les luttes d’aujourd’hui, ZAD ou  gilets jaunes. Un narrateur malgré tout attachant qu’on suit avec plaisir dans ses recherches, ses voyages et ses rêveries. Quand la littérature noire rappelle qu’elle peut être aussi très littéraire…

Serge Cabrol 
(05/09/22)    



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Noir & polar








Gallimard
(Août 2022)
Gallimard / La Noire
176 pages - 16 €



Folio
(Novembre 2023)
Folio Policier
192 pages - 7,50 €












Site de l'auteur :

www.pecherot.com











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