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Tout commence avec un souvenir d’enfance : elle, Agnès, est sur le pont avec Luc, Jeanne et surtout Antoine qui bénéficie du prestige de ses trois ans de plus. Le choc de la mort d’Antoine renvoie Agnès de plus en plus fréquemment à son passé. Les souvenirs affluent : les grandes vacances en plein air à Orsay chez les grands-parents paternels avec Antoine, l’école où elle était une bonne élève réservée et timide, cette femme forte, courageuse et digne qu’est sa mère, ce père artiste fantasque et fascinant parti chercher la lumière des îles du Pacifique sur les traces de Gauguin aux huit ans de la fillette, le manque d’argent du foyer dont Agnès ne souffrit pas grâce à cette mère dont le « sourire comblait tous les manques » qui « avait le don de faire du bon avec très peu et du beau avec rien ». Lui revient aussi l’annonce de la mort du père, de celle de ses grands-parents, suivie de la vente de leur maison d’Orsay. Passé et présent s’entremêlent, isolant souvent la jeune femme dans un monde parallèle. Deux ans plus tard, Agnès épouse le médecin généraliste et psychosomaticien dont elle s’était éprise au premier regard peu de temps avant le drame. Ils avaient les mêmes idées sur le monde et partageaient l’amour de la peinture et la musique. Mais dans l’intimité de leur vie de couple l’homme se montre vite tempétueux et jaloux. Les disputes se multiplient et ils divorcent trois ans plus tard. « La réalité n’avait pas été à la hauteur du rêve », se dit la jeune femme « fleurs bleues », comme celles imprimées sur un couvre-lit ou un rideau dont Hélène Veyssier parsème son roman. Cahin-caha le temps passe et Agnès avance. « Il faut tourner la page » comme aime à le dire celle qui vit seule quand les fantômes l’approchent de trop près et qu’elle se sent flancher. Agnès « la douce agnelle » s’affirme : Elle cumule les reconnaissances professionnelles ; durant ses voyages à l’étranger, « elle a connu d’autres mondes, s’est émerveillée, a rencontré des gens nouveaux » ; elle s’est mise à pratiquer le chant lyrique pour lequel elle s’est prise de passion et cela lui fait beaucoup de bien.Les hommes qu’elle a rencontrés, eux, n’ont fait que passer. C’est au début de sa cinquantaine que, grâce à une lettre trouvée dans une ancienne boîte à gâteaux secs en métal et à une galerie d’art parisienne, sa vie va soudain se délester de ses ombres et prendre un nouvel élan... Mais Agnès n’est pas hors sol et derrière son personnage c’est aussi de la vie, de notre société, de l’enfance, de l’amour, du couple, de l’homosexualité et de l’univers de la peinture à travers son père et Antoine, que l’autrice nous parle. C’est avec une extrême pudeur et une grande finesse dans son analyse psychologique qu’Hélène Veyssier nous livre lentement et à demi-mots ce personnage angoissé toujours soucieux de, malgré tout, positiver. Cela nous permet de l’accompagner intimement dans son cheminement pavé d’espoirs, de joies, de regrets et de souffrance et d’en comprendre les blocages comme l’évolution. C’est à travers son regard qu’elle nous donne à voir une société où le bonheur souvent se cache ou se dérobe sans pour autant faire de l’existence un enfer. Si Agnès est « douce », l’autrice, elle, maîtresse des silences autant que du verbe, se montre également dans Pleine lumière tout en nuances et en retenue. La référence au tableau d’Edward Hopper qui, dans une version légèrement modifiée, illustre la couverture, accroché dans le cabinet du médecin puis retrouvé plus tard exposé au Grand-Palais de Paris, est une allégorie parfaite pour incarner visuellement le passage d’Agnès de l’univers des ombres et des fantômes à celui du soleil et de la lumière. « La femme dans la lumière a l’air si sereine » dit un visiteur à Agnès devant la toile, « Oui c’est vrai, vous avez raison » répond en souriant celle qui s’est enfin réconciliée avec elle-même. Pleine lumière est un livre sensible et délicieusement troublant dont le style musical et rythmé s’harmonise comme par magie aux battements de cœur de la femme de papier et de chair qu’Hélène Veyssier a imaginée pour nous. Un livre plein d’émotions et de vibrations positives qui fait du bien. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Sinope Éditions (Août 2022) 140 pages - 10 €
Découvrir sur notre site ses précédents romans : Jardin d’été Comme une ombre portée |
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