Retour à l'accueil du site





Claude DARRAS


Destins croisés


Nous partageons la vie de trois personnages vivant dans la région Nord-Pas-de-Calais : Stéphane Walkowiak, mineur de fond, d’origine polonaise, Hassan Selouani, agent de maitrise, d’origine marocaine et Léopold Vanpoucke, marinier et chanteur.
Ces trois parcours qui s’entremêlent montrent bien les conditions de vie des mineurs, des immigrés et des chanteurs engagés, au milieu du XXème siècle.

Claude Darras a réalisé un énorme travail de documentation sur la vie au fond des mines et à la surface.
« — Évrard dit que je dois m'arrêter, se plaint le vieux mineur. Moi qui croyais toucher une pension de quarante ans ! Les Houillères vont m'accorder un taux d'invalidité de soixante pour cent à ce qu'il paraît. Vous avez compris ? Ils n'auront pas à payer bien longtemps ! J'arrive même plus à souffler sur une pomme de terre au four ! »

Il y a aussi une grande précision sur le syndicalisme et la vie politique de l’époque avec ses rivalités et cette solidarité essentielle dans le milieu ouvrier.
« Enfin il a à combattre au sein du parti – qui l'a reconduit au secrétariat général – de plus sérieux adversaires. Admirateur de Guy Mollet, il se révèle un brillant défenseur de sa cause face à des socialistes qui ne pardonnent pas au maire d'Arras d'avoir "pratiqué la politique de la droite et désavoué son parti". Mais ses plaidoiries tournent court à présent. Les avocats de la partie adverse bénéficient, il est vrai, de la réelle désaffection de la S.F.I.O. que Simon Vanpoucke compare ce soir-là à "une véritable faillite". À la critique acerbe du bistrotier, Stéphane oppose la solidarité ministérielle et la stratégie du pouvoir, responsables selon lui de l'attitude du président du Conseil. »

Plusieurs chapitres consacrés au Maroc nous apprennent beaucoup sur l’agriculture et sur un trafic international d’objets d’art.
« — Ton grand-père a été une bénédiction pour toute notre région, lui dit tout à trac le pasteur, cérémonieux, en agitant de haut en bas l'index de sa main droite pour ajouter à la solennité du propos. Les éleveurs lui doivent beaucoup. Grâce à lui, les étrangers n'ont pas dévasté nos pâturages en multipliant leurs sondages. Et quand certains d'entre eux ont dépassé les bornes, il est parvenu à leur faire entendre raison et il a amené les sociétés minières à indemniser le mieux possible propriétaires et fellahs. Brahim n'est pas mort dans un accident. À mon avis, ce sont les Bédouins qui sont à l'origine de l'explosion de Tazalaght. Les accords négociés entre les sociétés minières et les confédérations tribales berbères ont compromis une grande partie de leurs trafics de contrebande sur les routes caravanières. »

La dernière partie du roman, au fil de l’eau et des chansons est un témoignage très érudit sur la vie des mariniers et sur la montée de l’extrême droite, du racisme, de la xénophobie, de la défense de la chrétienté et d’un ordre nouveau et moral dans une région où le militantisme communiste était très fort.
« Tragédie sociale, douleur de l'absence, rupture amoureuse, nostalgie de l'enfance, richesses du métissage, les chansons du capitaine Léo se placent à la charnière entre l'intime et le collectif. Intimes, car elles racontent des événements privés – du moins dans la fiction –, collectives, car ces romances naissent et s'insèrent dans un contexte géographique et historique particulier, avec ses conventions, ses lois et ses tabous. »

« Cela fait plusieurs semaines que le chanteur et ses proches reçoivent des messages désapprobateurs qui stigmatisent la compassion envers les immigrants qu'il a mis en musique dans ses mélodies. Les messagers anonymes l'ont même menacé d'actes belliqueux pour avoir rendu publiques ses sympathies à travers un enregistrement phonographique. En juillet 1961, à l'incitation de Lucienne Valet, il avait rencontré le major Antoine Lépine à la gendarmerie de Lille qui l'avait convaincu de déposer une plainte chaque fois qu'il recevrait une lettre de menace. »

C’est un roman qui rappelle les épopées du XIXème siècle où la vie personnelle des personnages montre bien leur fonctionnement et leur psychologie dans un contexte social et politique très précis.

Le travail de Claude Darras est passionnant pour nous permettre de découvrir une région dans les années 1950-1960. « Le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais couvre environ un douzième de la superficie totale des deux départements des Hauts-de-France. […] Dix-sept nationalités cohabitent au fond des galeries souterraines parmi lesquelles des Italiens, des Espagnols, des Marocains et des Polonais. […] L’abandon des mines est programmé au milieu des années 1960-1970 : le dernier puits ferme à Oignies en 1990. » Toute l’histoire humaine, politique, sociale de cette région se déroule sous la plume captivante de Claude Darras.

Des encres de Chine de Guy Toubon accompagnent le récit au fil des pages. 

Brigitte Aubonnet 
(24/05/23)    



Retour
Sommaire
Lectures








Complicités

(Février 2023)
308 pages - 21 €








Claude Darras,
né en 1948,
après avoir été journaliste et enseignant,
est critique d'art
et chroniqueur littéraire.



Bio-bibliographie sur
notre site





Découvrir sur notre site
Les lectures de
Claude Darras



et d'autres ouvrages
du même auteur :

Petites histoires des
mots et expressions



La forêt sacrée
de la Sainte-Baume



Zhou Shichao


Louis Toncini, le maître de Rive-Neuve


La forêt
de Boscodon