François Truffaut est mort un dimanche, le 21 octobre 1984. Pour Anne, qui est responsable de la photothèque cinéma la plus riche de Paris, cela signifie que le lundi est un jour de folie où il faut fournir des images à tous les journaux et magazines qui en font la demande.
A treize heures, elle s’octroie tout de même une pause déjeuner et une petite balade dans les rues. C’est là que le miracle a lieu.
« Brusquement, comme si le soleil passait derrière une montagne, une ombre m'a enveloppée... j'ai levé la tête et je l'ai vu debout devant moi.
Grand. Obèse. Impressionnant. Démesuré.
J'étais soudain plus petite que mon mètre cinquante.
Sa barbe grise lui donnait un côté Dieu le père là-haut dans les nuages et son chapeau sombre assorti à son manteau un côté personnage de film noir. L'âge se voyait à la sécheresse plissée de sa peau, à la fatigue de ses yeux.
Il souriait, l'air content de me voir.
Tétanisée, je ne doutais pas de l'identité de la personne en face de moi.
C'était Orson Welles. »

Visiblement, lui aussi la reconnait et l’invite au restaurant où il lui propose de participer à la préparation de son prochain film. Trop émue pour tout enregistrer, elle se laisse porter par sa voix et ne mémorise que des bribes qui parlent de repérages, du parc Montsouris…
Quelques phrases tout de même lui restent en mémoire lorsqu’ils se quittent après le repas :
« Vous êtes la personne adéquate, vous connaissez bien le cinéma. Vous noterez tout ce qui vous vient, ce n'est pas sorcier... je m'intéresse à tout, vous êtes à un poste stratégique dans la plus belle ville du monde, que vouloir de plus ? »

Alors elle va faire ce qu’il lui demande, elle va noter tout ce qui lui passe par l’esprit. Elle achète des cahiers et elle donne un titre à chacun : La rencontre, Moi, Vous, Cinéma…
Et ce sont ces cahiers qui composent le roman.
 
Elle va écrire ce qu’elle sait d’Orson Welles : sa vie compliquée avec beaucoup de voyages et plusieurs films jamais terminés, ses rôles en tant que comédien, ses créations en tant que réalisateur, ses rencontres (comme avec Truffaut à Cannes en 1966), sa passion pour Shakespeare, les femmes de sa vie…

Et puis elle consacre un cahier à sa propre vie, en commençant par cet "accident" de voiture qui a tué son père, son petit frère et sa grande sœur. Anne avait huit ans, elle est restée dix mois dans le coma. Ensuite il y a eu encore deux ans d’hospitalisation, convalescence et rééducation. Sa mère n’était pas dans la voiture. La dépression l’a dévastée. Il faut dire que « l'homme avec qui elle voulait refaire sa vie — comme si une vie se refaisait —, son amant comme on dit, pas si aimant, n'a plus voulu d'elle après tout ça, et elle, elle n'a plus rien voulu. Et ne plus rien vouloir n'est pas une belle mort. »

Heureusement, Anne a ensuite été accueillie par ses grands-parents paternels qui gèraient une salle de cinéma. De quoi faire naître une passion…

Cette alternance entre ses souvenirs à elle et les épisodes de la vie d’Orson Welles, son caractère, ses rêves et ses échecs, construit un roman passionné et passionnant, émouvant et ambigu, où tout est écrit du point de vue d’une narratrice au parcours chaotique et à l’esprit troublé.

Jusqu’où cette rencontre avec cet « ourson » géant et pantagruélique va-t-elle conduire la jeune femme ? C’est ce que nous découvrons au fil des pages toutes chargées de références au cinéma.
Encore une belle réussite de Chantal Pelletier qui vient prolonger un parcours déjà très riche.