La situation n’est pas aussi limpide qu’annoncée par leur mère. Les enfants, Jules, Anaïs et Titouan, un soir, ont surpris une conversation entre leur mère et Jean-Baptiste Lacombe, son mari et père de deux des plus jeunes enfants. Aussi en déduisent-ils que leur mère est une espionne et pourquoi ne pas profiter de la période de séjour pour s’initier, eux aussi, à l’espionnage et du coup créer une agence dont ils seraient les principaux acteurs. Une fois sur place, reste à trouver un champ d’action. Celui-ci se concrétise très vite après la rencontre du jeune Hamadou qui vit seul avec sa mère. Il pratique assidument le football, un loisir dont il ne veut surtout pas faire son métier car il rêve de faire des études d’ingénieur. Alors quand il raconte à ses nouveaux amis qu’un recruteur pas bien fiable, Monsieur R., aux fréquentations bizarres, cherche à l’envoyer dans un grand club européen contre sa volonté mais avec l’accord de son père qui a déserté le foyer familial, l’occasion est trop belle pour nos jeunes héros et tombe à pic pour s’initier à leur nouvelle fonction d’espions amateurs. Ils créent l’agence Caracal pour se donner confiance et du cœur à l’ouvrage. Le caracal, « ça ressemble à un gros chat. C’est un type de lynx, en fait […] Sa robe s’harmonise avec la couleur de la savane, ce qui lui permet de bien se camoufler. À la manière d’un chat, il rampe en silence… Le caracal est considéré comme l’un des félins les plus rapides sur courte distance […] Camouflage, discrétion et rapidité […] toutes les qualités requises pour être un bon agent secret ». De fil en aiguille, aidés par des enfants de Niamey qu’ils recrutent au nom de l’agence d’espionnage, ce qui n’est au début qu’une occupation bien puérile devient une intrusion gênante dans un milieu d’adultes peu recommandables.

L’écriture limpide et une narration sans temps mort agrémentent ce récit, en forme de roman d’apprentissage dans le dépaysement d’un univers et d’un environnement social autre que celui de nos jeunes aventuriers. Ils abordent une culture différente de la leur et apprennent à la respecter par l’entremise des jeunes qu’ils fréquentent et s’adaptent à ce qui est permis ou ce qui ne l’est pas. Ils traversent, sans s’en offusquer, une société dont l’emprise de la tradition, de ses valeurs et l’importance donnée à la considération des anciens peuvent être un frein au développement d’une mentalité plus égalitaire. C’est aussi le moment de mettre en pratique quelques enseignements, principalement dispensés par leur mère, notamment lors de la rencontre de jeunes émigrés malmenés à Paris : « Anaïs se rappelle alors les mots de sa mère. Le colonialisme est un terrible fléau, basé sur l’inégalité entre les peuples, l’idée qu’il y aurait des races inférieures. Une idée qui persiste encore, comprit-elle ». L’opportunité, par ailleurs, d’affronter la réalité du monde par l’initiation d’un peu de géopolitique exposant rapidement la situation politique pré-putschiste d’un pays miné par les clans désirant le pouvoir et les vues d’autres puissances guettant l’opportunité d’une mainmise sur les richesses du pays.

Un roman d’espionnage pour la jeunesse, riche d’informations, ancré dans l’actualité récente. Caracal Opération Niamey, le livre de Marc Victor a été imprimé en août 2023 et écrit probablement bien avant que le président Mohamed Bazoum soit destitué le 26 juillet 2023 par un coup d’état. Aussi l’histoire que conte Marc Victor, tout en pressentant l’évènement, n’en tient-elle pas compte. Ce qui n’empêche pas d’avoir un récit pour la jeunesse faisant vivre à ces trois jeunes héros une passionnante aventure mêlant fiction et réalité pour des adolescents imaginatifs, suppléés par des parents compréhensifs, vivant dans une famille recomposée, petit clin d’œil sociologique au passage. Une histoire avec une part belle consacrée à la bienveillance envers autrui se frayant un chemin vers l’espoir de plus de fraternité. D’autres aventures et d’autres pays sont promis, c’est le projet. À suivre donc !

Michel Martinelli 
(18/10/23)