Après Beckett en 1969, c’est Harold Pinter qui, cette année, vient de recevoir le prix Nobel de littérature pour un théâtre « étrangement inquiétant ». « Ce qui se passe dans mes pièces, écrit Pinter, est réaliste mais ce que je fais n’est pas du réalisme ». C’est dans cette filiation qu’on peut situer Philippe Braz. Sa dernière pièce, Off-shore, met en scène cinq personnages dans un huis-clos menacé par une étrange apparition.

Monsieur B., tel un empereur africain déchu, s’est réfugié dans une villa avec sa femme, Ma’, et leurs deux fils, Adolphe et Abel. Ancien directeur de l’Entreprise Générale d’Incinération et d’Ensevelissement, Monsieur B. était chargé des basses œuvres pour le compte de puissants commanditaires et il n’avait pas son pareil pour exterminer les gêneurs. Il se croyait inattaquable mais la disgrâce ne l’a pas épargné et il a dû se réfugier au plus vite dans un exil « off-shore ».

Par la fenêtre, ils observent une femme, invisible du public, qui se tient immobile, jour et nuit, devant la maison.

Pour Ma’, c’est une sainte venue leur rappeler leurs fautes ou la femme d’un ancien cadre éliminé par son mari. Pour Adolphe, c’est peut-être la mère de deux fillettes qu’il a violées et qui se sont jetées dans le fleuve. Abel, le fils cadet, n’a pas d’avis, il ne s’est jamais senti concerné par la violence de son père et de son frère.

Auprès de ces quatre reclus vit un serviteur, Pisar, qui les déteste pour des raisons personnelles. Il est le témoin patient de leurs règlements de comptes.

L’écriture est vive, sans ponctuation, composée de lignes courtes et les répliques s’enchaînent sans répit pour nous emporter dans un flot tumultueux où la poésie se mêle à la violence d’une langue parfois crue, toujours puissante et dévastatrice.

Serge Cabrol 
(16/10/05)