Philippe BRAZ

Eden Hôtel



L'Eden est un hôtel de passage sans caractère situé à proximité d'un aéroport dans un no man’s land entre bâtiments industriels et bretelles d'autoroute.
C'est une chambre – et ses clients de passage – qui est au cœur du récit, avec des tableaux successifs saisis au vol.
Dans cette chambre pour deux, banale à pleurer, des hommes, des femmes, des couples, de tout âge, se rencontrent, s'affrontent. Peu de plaisir et de sexualité au creux du lit, des paroles qui s'échangent et pèsent lourd.

Des parents, maman-poule et papa-poigne, chacun muré dans son propre monologue, attendent le retour de leur fils parti à l'armée et dont ils n'ont eu aucune nouvelles depuis plusieurs mois. Le pire se laisse pressentir mais rien d'autre que la médiocrité du quotidien de ces deux-là et leurs frustrations ne sera dévoilé.
Ensuite ce sera un jeune couple en voyage de noce qui au lieu de s'adonner aux ébats attendus de deux tourtereaux se livrent à une violente scène de ménage qui pourrait bien être définitive comme celle de cette épouse qui apprend à son mari qu'elle le trompe avec sa meilleure amie. Le duo formé lors du rendez-vous d'un vieil homme avec l'amant de son fils est plus décalé. Mais l'échange étrange et lourd de sous-entendus qui les réunit recèle une part d'incommunicabilité tout aussi dense.

Cette chambre n'est décidément ni un nid douillet pour s'aimer, ni le lieu d'un repos salutaire. Les difficultés du monde cognent bien fort à la porte de cet Eden laissant entrevoir des bouts d'enfer comme la déchéance du drogué en fin de course dans L'accro, le mépris de cette femme d'affaires pour son mari au chômage depuis plusieurs mois (Aujourd'hui), l'impossibilité du pardon pour cette enfant traumatisée par les gestes incestueux de son père quand, devenue femme, elle le revoit à sa sortie de taule (Retrouvailles). Parfois dans les chambres d'hôtel le drame sourd et le sang coule. Des fois mais pas toujours.

Dans cette galerie de règlements de comptes, de ruptures, de rancœurs, se glisse aussi, parfois, la fantaisie. Le journaliste de la télé avec ces deux jeunes fille ramassées en auto-stop qui jouent au chat et à la souris nous réservent une fin drôle et bien inattendue.
La façon dont cet anglais excentrique, dont la femme est en train d'accoucher, s'englue dans un discours pseudo-scientifique délirant avec la femme de chambre prête plus au sourire qu'à la morosité.

En contrepoint à ces bribes de vie entr'aperçues, les deux femmes de chambre, une vieille et une jeune, remettent de l'ordre en évoquant non ces clients qui ne font que passer mais leur propre vie, l'amour, leurs déceptions et leurs espoirs. Seules leurs tâches et la répétition des mêmes gestes les réunissent. L'une repliée sur son travail avec sa foi pour seule étoile ; l'autre, midinette en quête d'amour comme unique idéal ; leur conversation ressemble à une juxtaposition de monologues, chacune réfugiée dans son monde face aux soubresauts de la vie.

Chaque histoire s'appuie sur des moments-clés d'une vie, celui où les choses basculent et où on se retrouve face à soi-même. Ce qui irrigue tous ces dialogues de sourds, c'est la solitude et l'incommunicabilité. La difficulté à être et à vivre aussi. L'Eden, ce n'est pas le paradis. De petites phrases courtes, une écriture vive et directe, la langue de tous les jours, avec ses silences aussi, chargés de sens, qui nous mettent en situation du voyageur de la chambre d'à côté qui malgré lui serait confronté à ces portions de vie tellement vraies et banales qu'elles opèrent parfois comme un miroir qui nous renverrait une image si peu gratifiante de notre vie sociale et de nous-mêmes qu'elle nous interroge. Une pièce intéressante et émouvante qui peut aussi se lire comme une suite de nouvelles dialoguées.

Dominique Baillon-Lalande 
(15/05/08)      



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Le Bruit des Autres
100 pages, 12 €


En couverture,
une peinture
d'Arthur Mihran






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