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Caryl FÉREY

Magali


Magali Blandin a été assassinée par son ex-mari. L’un des 122 féminicides de l’année 2021. Ce qui interpelle particulièrement l’auteur, c’est que ce drame s’est produit à Montfort-sur-Meu, le village breton où il a grandi.
C’es l’occasion pour lui de retourner sur les lieux, d’enquêter sur la personnalité de Magali et le drame qui lui a coûté la vie, et dans ce livre très personnel d’évoquer sa propre enfance et son adolescence.
« Magali ne devait pas devenir un simple nom sur la liste morbide des féminicides. Il y avait quelque part une vérité que je devais trouver. […] Je ne connaissais pas Magali, certes, mais son quotidien à Monfort aurait pu être le mien ; c’était peu et beaucoup à la fois car l’onde de choc se répandit comme une traînée de poudre dans mon esprit. Je ne savais pas où me mènerait cette histoire, comment elle deviendrait mienne, mais je sais une chose : on meurt réellement quand on est oublié, tant l’absence d’un être cher reste souvent "présente" même après sa disparition physique. Magali ne mourrait pas une seconde fois. »

À Montfort-sur-Meu, les choses ont bien changé depuis qu’il en est parti une quarantaine d’années plus tôt et il a du mal à retrouver les traces de son passé, les maisons où il a vécu, celle de ses grands-parents et celle de son beau-père. Mais la fille de son beau-père est devenue pharmacienne, c’est un premier contact.
Comme dans Chili La diagonale du Condor (Gallimard, 2017), il affuble tous les gens qui l’accompagnent ou qu’il rencontre de surnoms. Il y avait alors Clope-dur, Ippon-Sanglant, Loutre-Bouclée, Chorizo-Bouillant, Longue Figure…
Il en est de même ici. La pharmacienne devient Pharma Stoïque. Ses grands-parents Pélican Boiteux et Gauloise dans le Fossé. Son éditrice répond au doux sobriquet de Poupée de Sang. Sa demi-sœur, journaliste à Ouest-France, est surnommée Walky Rit. Elle travaille avec Mitraillette Passionnée et Drôle à Cuire…  C’est affectueux, cela protège l’identité des personnes et rajoute un peu d’humour dans une histoire bien sombre.

L’enquête a du mal à démarrer parce que Magali ne s’était installée dans le village que quelques mois avant sa disparition, au moment de sa demande de divorce. Personne ne la connaissait vraiment. Mais grâce à ses contacts et aux articles parus dans la presse à l’époque, Caryl Férey reconstitue peu à peu le puzzle. Comme dans d’autres affaires similaires, Magali a disparu un jour, le 11 février 2021, sans qu’on sache ce qu’elle était devenue. Son mari, Jérôme Gaillard, a participé aux battues…
Mais trois semaines plus tard, il vient porter plainte pour extorsion de fonds contre des Géorgiens qui vivent à proximité. À partir de là, tout s’enchaîne. Il finit par reconnaître le meurtre prémédité pour lequel il voulait employer les Géorgiens qui ont pris l’argent mais refusé de commettre le crime, pensant qu’il n’irait pas voir les gendarmes pour ça. Mais la connerie accompagne la violence…
L’enquête approfondie de l’auteur permet de rappeler les conditions du meurtre, les complicités, le devenir du mari et de ses parents… Elle permet surtout de rendre son identité à la victime, mère de quatre enfants, éducatrice de rue à Rennes. « Elle s’attachait à venir en aide à une jeunesse blessée, désorientée, racontent ses collègues, admiratifs de sa douceur et de sa patience. Elle a toujours cru qu’un autre monde, meilleur, était possible, que du mal pouvait surgir le bien. »

Parallèlement à cette enquête, ce sont les souvenir de Caryl Férey qui remontent à la surface au fil des balades et des rencontres. Il explique par exemple l’origine de son prénom, dû à l’intérêt de ses parents pour Caryl Chessman, condamné à mort aux Etats-Unis, exécuté en 1960 après douze ans d’attente pendant lesquels il a écrit quatre livres qui ont eu un retentissement mondial, parus en France aux Presses de la Cité. « Il n’y clame pas son innocence, mais l’hypocrisie d’une société qui plutôt que de chercher à soigner ou modifier la trajectoire des jeunes délinquants, eux-mêmes souvent victimes de violences lorsqu’ils étaient enfants, s’empresse de les juger et de les châtier durement, les enfonçant un peu plus dans la fange où le destin les avait mis. »
Il évoque aussi la vie dans les années 70-80 dans ce coin de terre bretonne, ses frasques et ses pensées de l’époque, ce qui a construit sa personnalité et l’écrivain qu’il est devenu. En alternance, il y a le présent et son travail d’écriture en cours.

Sortant de son univers de romancier, l’auteur nous offre ici un récit plus personnel, passionnant et émouvant, profondément humain, et un livre salutaire sur la nature odieuse du féminicide, un fléau qu’on ne doit cesser de combattre par tous les moyens. Éducation, prévention, répression… Et la littérature a aussi un rôle important à jouer, comme de maintenir en vie le souvenir des victimes.

Serge Cabrol 
(25/10/24)    



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Lectures







Robert Laffont

Collection La bête noire
(Août 2024)
194 pages - 19 €







Caryl Férey,

né à Caen en 1967, a beaucoup voyagé et publié une trentaine de livres.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia





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