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Hubert MINGARELLI


L'année du soulèvement



« L'année du soulèvement fut une année chaude et sèche. On se battit sur les ponts, dans les gares et autour des casernes, et il y eut mille histoires. Les unités de la police se rendirent en premier aux insurgés. Ensuite ce fut l'armée, un régiment après l'autre, et le gouvernement s'enfuit pendant la nuit.  »

Du soulèvement, de cette guerre sans nom qui les a positionnés face à face, dans un lointain pays non identifiable et en des temps indéterminés, nous ne saurons rien d'autre. Cletus et Daniel sont chargés de garder un prisonnier militaire nommé San-Vitto. Un ordre du chef, sans explication, envoie le trio à l'écart dans la colline. Ils gravissent la pente, peinent sous la chaleur et parviennent au sommet, face à un abri de pierres à demi détruit. Là, avec un fusil pour deux, ils n'ont plus qu'à attendre ceux qui viendront prendre en charge celui qui était affecté aux transmissions chez l'ennemi ou bien donneront l'ordre de l'exécuter.

Ici, sous le ciel lumineux, l'ombre des châtaigniers et des chênes, l'eau fuyante, un souffle de vent amènent un peu de fraîcheur. Rester vigilant et ne pas se poser de questions. Guetter.
Le temps s'étire. Dans le désordre de cette fin de guerre, peut-être les a-t-on même oubliés. Ni le cheval arrivé près d'eux par hasard, qui les distrait quelques minutes par sa quête désordonnée de nourriture et son indifférence, ni les aboiements de chiens dans le lointain, ni les cartes à jouer sorties de la poche pour tromper l'ennui, ne parviennent à désamorcer l'angoisse que génère l'attente.

Quand la nuit tombe, ils s'installent autour d'un feu, fument, se jaugent, risquent quelques paroles.
A Daniel, le jeune messager, la solitude du lieu et l'inaction pèsent. Impatient il s'agite, dit son envie de s'illustrer par un acte de bravoure ou tout simplement d'en découdre. Mais sa frustration d'avoir passé cette guerre à courir partout sans en être jamais, bute sur l'autorité et l'agacement de Cletus, ce combattant des premières heures, avec lequel on l'a mis en équipe. Celui-ci, brutal le rabroue et semble plus intéressé à amorcer un dialogue avec San-Vitto qu'à écouter le jeune homme ou lui narrer ses exploits. C'est comme une connivence qui l'exclurait que Daniel sent poindre entre les deux hommes. A travers des propos, des gestes, hésitants voire maladroits ou violents, Cletus livre peu à peu, à demi-mots, son désarroi, ses doutes : quel que soit le camp dans lequel on se retrouve, que comprend-on vraiment à la guerre que l'on fait ? L'arme que tient le guerrier et les circonstances qui le portent lui donnent-elles le droit de tuer ? La simple histoire d'un chien abandonné, l'horreur ressentie lors d'un affrontement dans une usine de caoutchouc devant ce qui devient massacre collectif, le souvenir honteux d'un homme en fuite qui tombe sous les balles, un mélange d'incompréhension et de culpabilité, relient ces deux-là aussi sûrement qu'une bataille commune.
Difficile d'envisager l'avenir. La nuit sera longue.

Comme toujours chez Hubert Mingarelli, le scénario et l'histoire sont ténus et ne s'appuient sur aucun fait. L'essentiel est ailleurs. Durant ces heures volées à des hommes simples, dans le huis-clos bruissant et palpitant de la nature, c'est, modestement et à hauteur d'homme, la vie, la mort, la vérité, l'absurdité du monde, la violence ou la fraternité qui sont convoquées. L'auteur, en adéquation avec ce monde masculin de la guerre où, par pudeur, on ne se confie ni ne se plaint, tisse l'histoire et dépeint ces hommes ordinaires à travers des détails infimes de leur vie quotidienne, par des gestes, des regards, des silences qui expriment leurs sentiments plus sûrement que d'intimes confidences.

En équilibre sur la frontière entre vie et trépas, dans cette immobilité que la force vitale de la nature et des éléments qui font décor vient humaniser, les mots prennent tout leur sens. La peur, la honte, la souffrance, révélées, les ouvrent à eux-mêmes autant qu'à l'autre et leur permet d'avancer lentement, péniblement, sur le chemin de la réconciliation et de la paix intérieure auxquelles ils aspirent.

L’écriture intimiste et dépouillée de Hubert Mingarelli se met au plus près de l’émotion de ses personnages et leur donne ainsi une épaisseur universelle. Le monde où se débattent ces êtres si terriblement humains a bien des points communs avec le nôtre mais la lumière qui le nimbe lui confère une irréalité qui nous transporte en apesanteur dans un ailleurs.
Dans ce récit, le texte poétique et ciselé, la musique des mots, la force des images, prennent toute la place. Le rythme, à l'unisson du pas lourd de ces personnages qui laissent leurs traces dans la terre humide, est d'une lenteur hypnotique avec des silences qui assourdissent. Le temps est en suspens. La fascination et le trouble, lentement, en profondeur, totalement, nous absorbent et nous entrainent dans un bien étrange voyage.

Difficile de définir le charme singulier des romans de Hubert Mingarelli ; il y a du magicien chez cet homme-là. Il nous confronte à une représentation "décalée" de la réalité. Mais ces ombres projetées sur les murs de la caverne, ces reflets capturés dans le miroir, ne s'apparentent pas au monde des apparences dénoncé par Platon mais à une vision du monde et des hommes rendue plus fine, plus vraie, par la distance. Les romans de cet écrivain passé maître dans l'art de l'évocation des sentiments n'en finissent pas de se conjuguer, se superposer, se répondre pour, à travers cet univers intemporel, original et envoutant qu'il compose, nous mettre au plus près de l'humain.
Ses récits subtils, au style épuré, au parfum entêtant, vibrants de sensibilité et de fraternité, ne ressemblent à aucun autre et laissent des traces, longtemps.
Superbe ! A lire absolument !

Dominique Baillon-Lalande 
(30/05/10)    



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Editions du Seuil

138 pages - 16 €




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Hubert Mingarelli

est l’auteur d’une quinzaine de livres en vingt ans. Il a obtenu le prix Médicis en 2003 pour Quatre soldats. Plusieurs de ses livres ont paru en Points-Seuil.


Prix Médicis 2003