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Claudie GALLAY

Les jardins de Torcello



Jess est le personnage principal de ce roman mais elle n’en est pas la narratrice. Pour ceux et celles qui ont lu Avant l’été de Claudie Gallay, Jess n’est pas une inconnue. On la retrouve, velléitaire et secrète. Elle semble se laisser porter par les événements.
Pourtant elle a osé quitter la maison familiale et surtout le travail que sa mère lui destinait. S’occuper de l’hôtel, faire la bonne lui faisait horreur. Alors elle est partie le plus loin possible, et la voilà à Venise. Peut-être pour ne pas être tentée de céder aux prières de sa mère – ce qui n’empêche pas la culpabilité.

Venise s’offre à Jess et aux lecteurs dans toute sa beauté mais c’est une beauté mélancolique. C’est la Venise cachée, sombre, loin des foules. Elle connaît la ville sur le bout des doigts et s’improvise guide touristique. Elle connaît toutes les histoires, toutes les églises et villas, toutes les superstitions. Elle sait regarder et elle a une mémoire visuelle exceptionnelle qui lui permet de dessiner les paysages de la ville de tous les points de vue. Quand l’appartement qui l’hébergeait doit être vendu, elle doit travailler pour payer son futur loyer. Elle se met au service d’un des plus grands avocats de la région, Maxence Darsène, qui habite sur l’île de Torcello. Cette île a été souvent recouverte par les grandes eaux et les jardins ont été détruits. Mais Maxence se bat pour protéger son jardin et replanter les vignes ancestrales. C’est un combat qui semble perdu d’avance, mais sans doute est-ce une métaphore de notre crise climatique, une lutte pour ne pas sombrer.

Jess est fascinée par Maxence, elle l’admire en secret. Elle doit classer ses archives. Une occasion pour découvrir ce métier d’avocat pénaliste dont les clients sont d’affreux criminels mais qu’il se met un point d’honneur à défendre. Il s’agit de trouver la faille qui permet de comprendre comment et pourquoi l’homme ou la femme a tué. C’est un exercice d’empathie hors norme. « Et pour défendre Strozzi, il doit trouver la logique du geste. Quand il aura cette logique, il tirera le fil, et il remontera à l’origine, l’éducation reçue, le milieu d’où il vient, l’amour qu’on lui a donné, ou pas, et les tares, que le sang lui a transmises, les failles, les fausses valeurs, les manques, et l’amour, peut-être. »

Dans cette maison, Maxence a d’autres admirateurs ; Colin, son compagnon exubérant et passionné et Elio, le gardien taciturne mais inquiétant, toujours prêt à protéger Maxence contre d’éventuels agresseurs. On croise aussi un chat, des chevaux et des poissons. Le rôle de Jess est de cuisiner en suivant les recettes de feu la mère de Maxence, de remettre de l’ordre, de repasser les chemises, parfois de masser, parfois d’enquêter.

On découvre peu à peu d’autres secrets cachés de la vie de Jess. C’est un personnage discret, peu expansif. Mais l’autrice nous livre ses pensées et surtout de quoi sont faites ses journées, ses gestes, ses émotions, son courage.  Jess est un peu un anti-héros mais on s’y attache. Et le style poétique du roman nous transporte dans cette Venise tantôt brumeuse, inquiétante, tantôt superbe et magique. Il ne faut pas s’attendre à trouver de l’action, du mouvement. Le récit est lacunaire, on passe d’une chose à l’autre, d’un quartier à une île, c’est parfois difficile à suivre. Mais si l’on se perd à Venise, pourquoi pas dans un livre qui lui est dédié ?

Une rumeur circule à propos d’un pochoir de Banksy caché quelque part sur un mur. Jess va le trouver un peu par hasard. « Un dessin, au ras de l’eau. Un enfant migrant, peint sur les pierres d’un mur humide. […] Il porte un gilet de sauvetage et brandit une fusée de détresse de laquelle s’échappe une fumée rose. […] Ce n’est pas un simple dessin. On dirait un cri. L’enfant est prisonnier du mur. Le mur est sa misère, alors qu'autour, partout, dans les palais, les riches se gavent et dépensent sans compter. […] L’enfant migrant regarde au loin, il attend que quelqu’un vienne à son secours. Mais personne ne vient. C’est aussi cela que dit Banksy. »

Nadine Dutier 
(07/10/24)    



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Lectures








Actes Sud

(Août 2024)
416 pages - 23 €







Claudie Gallay
a publié une douzaine de livres et obtenu le prix des Lectrices de ELLE 2008 pour Les déferlantes.


Bio-bibliographie
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