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Hubert HADDAD


La symphonie atlantique



En 1933, Clemens est un garçon de cinq ans qui vit avec Maria-Anke, sa mère, à Ratisbonne, en Allemagne. C’est cet enfant que nous allons accompagner au fil du roman dans le contexte dramatique de la montée du nazisme, de sa folie et de sa violence.
Maria-Anke a été chanteuse lyrique à Cologne et à Berlin mais c’est du passé. Maintenant, elle vit seule avec son fils et souffre de « variations d’humeur, chavirant sans cesse entre exaltation et langueur », au point qu’on veut l’enfermer dans un hôpital et placer Clemens dans une institution.
L’Allemagne est en plein bouleversement. « À Berlin, il y a des parades en uniforme noir. On dit que les voyous des milices ont pillé les armureries, que la police et l’armée ferment les yeux. Tout bascule… »

Heureusement, au cinquième étage de l’immeuble, habite Handa, une jeune femme qui joue du piano. Maria-Anke lui demande si elle pourrait s’occuper de son fils les fins d’après-midi. « Vous n’aurez qu’à lui enseigner le solfège, l’harmonie, le lied, il en est de si beaux ! Schubert, Nacht und Träume ! Schumann aussi. Faites-le chanter ! » Handa est ravie et Clemens aussi.

Mais la pression nazie devient insupportable « depuis l’éviction du bourgmestre de Ratisbonne au profit d’un SS, le docteur Otto Schottenheim.
— On arrête les mendiants qui ne peuvent se sauver, j’ai vu un infirme jeté sans égards dans un camion au coin d’une rue, près de la cathédrale…
— Je sais, dit Handa. Il ne fait pas bon leur déplaire. On parle d’une loi pour la stérilisation des handicapés, des Tziganes aussi, des enfants métis. Ils vont abroger la nationalité allemande des Juifs, leur interdire d’enseigner. »
Maria-Anke, craint d’être hospitalisée ; Handa, qui est juive, redoute d’être poursuivie et interdite d’enseignement. La mère préfère se séparer de son fils. Elle le confie à Handa et lui demande de l’emmener chez l’oncle Reinhold, à Löffingen, dans la Forêt-Noire.
Au moment du départ elle remet à son fils un précieux violon, « un Jakobus Stainer trois fois séculaire, rangé avec deux archets dans son bel étui de vieux cuir et glissé dans une housse à harnais afin qu’il pût le transporter aisément. »
 « Promets-moi de ne jamais t’en séparer, c’est le violon de ton grand-père, le frère d’oncle Reinhold, tu apprendras à en jouer pour moi, pour ta mère, Clemens ! Ce violon, c’est mon bien le plus cher après toi… »

Après un voyage angoissant, Handa, soulagée d’avoir pu échapper aux imprévisibles vérifications d’identité, arrive à Löffingen et confie Clemens à son oncle, un vieil homme bougon qui règne sur son domaine comme un châtelain d’autrefois.
La Forêt-Noire n’est pas un simple décor mais un fascinant terrain d’aventures et d’apprentissages pour cet enfant de la ville et l’écriture poétique d’Hubert Haddad permet au lecteur de partager les découvertes et les émotions ressenties par Clemens.
« Comme un chat peu aventureux avant de franchir les miroirs, Clemens explora par ellipses progressives les environs boisés. Du printemps épanoui à la fin de l’automne, la flore et la faune s’enlacent sous la sylve et l’enfant s’y perdait avec ivresse, faon lui-même, belette ou scarabée doré, les mains et la figure plongées dans les mystères du sous-bois tout d’écritures et de menaces, semé de joyaux insaisissables et prodigue en senteurs inconnues. »

Mais c’est la musique, bien entendu, qui joue un rôle essentiel dans ce roman comme l’indique le titre dont on ne comprend vraiment la signification qu’à la fin du livre.
Nous suivons Clemens pendant son enfance et son adolescence et nous comprenons combien sa mère a eu raison de lui confier le précieux violon car c’est lui et la manière exceptionnelle dont il en joue qui lui permettent d’entrer en relation avec les autres, de construire une amitié, de bénéficier de certaines protections parfois inattendues et d’échapper longtemps au sort de tous les garçons de son âge recrutés de gré ou de force par les jeunesses hitlériennes.
« Lorsqu’un troisième gestapiste mit à jour l’étui de cuir en vidant sur un comptoir le contenu du sac à dos, Clemens s’exclama à la surprise de tous :
— Rendez-moi mon violon !
— Notre jeune Siegfried a retrouvé sa langue ! lança le sous-officier dans les rires. Ja ja, on te le rend, à condition que tu nous joues un petit air de chez nous. On doit tester tes aptitudes… »

Mais la folie du Führer n’a pas de limites et l’incendie fasciste s’étend à toute l’Europe. L’angoisse monte quant au sort de Clemens et l’auteur ne livre que très tard le secret des origines du jeune garçon. On n’est jamais à l’abri d’une surprise ou d’un rebondissement dans ce beau roman qui vient compléter le parcours déjà si riche de l’auteur.

Serge Cabrol 
(16/10/24)    



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Zulma

(Septembre 2024)
224 pages - 19,50 €









Hubert Haddad,
né à Tunis en 1947,
est l'auteur de plusieurs dizaines d'ouvrages dans tous les genres : poèmes, nouvelles, récits, romans, essais, théâtre, jeunesse...

Bio-bibliographie
sur le site de l'éditeur :
www.zulma.fr





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