Le nom sur le mur
Voici un texte très original d’Hervé Le Tellier qui nous a habitués, avant son roman L’anomalie, Prix Goncourt 2020, à découvrir des écrits très variés : des romans dont un sur sa famille, des nouvelles, des textes courts, des aphorismes, des textes à contraintes, du théâtre, de la poésie…
Le nom sur le mur est un ouvrage original, émouvant, instructif qui mêle des éléments de la vie d’Hervé Le Tellier et des éléments historiques.
« Je cherchais une « maison natale ». J’avais expliqué à l’agent immobilier : pas une villa de vacances, pas une ruine « à rénover », pas une « maison d’architecte », pas un « bien atypique », ces bergeries ou magnaneries transformées en habitations où l’on se cogne dans les chambranles de portes à hauteur de brebis.
Non, je voulais une maison où j’aurais pu m’inventer des racines, et aussi une maison dans un village vivant, où l’on fait ses courses à l’épicerie et boit l’apéro au café dans cette Drôme provençale où j’avais des amis, depuis longtemps. »
Ce n’est pas un roman historique mais il y a de nombreuses références historiques passionnantes.
Hervé Le Tellier, lors du confinement de 2020, passait régulièrement devant le monument aux morts de La Paillette près de Dieulefit. Un nom accroche son regard : André Chaix (mai 1924 – août 1944). C’est un nom qu’il a déjà vu, gravé dans le crépi de la maison qu’il vient d’acheter. Cette coïncidence lui donne envie de commencer une recherche.
Peu à peu s’incarne ce jeune résistant, engagé dans les FTP, qui sera tué par les Allemands. La vie d’André Chaix se déroule sous nos yeux. Grâce à une petite boîte, remise à Hervé Le Tellier par une association, contenant des photos, un fume cigarettes et quelques objets d’André Chaix, celui-ci se met à exister, sous la plume respectueuse d’Hervé Le Tellier, avec ses émotions, ce qu’il a vécu et ce qu’il aurait pu vivre. Hervé Le Tellier parle de la guerre, du nazisme, des bourreaux et des héros, de toutes ces vies fauchées lors des conflits.
« Neuf semaines à peine séparent l’accession d’Hitler à la chancellerie de la dictature et des premières mesures antisémites. S’en souvenir : les fascismes marchent plus vite que n’importe quelle démocratie. »
Ce texte est riche de nombreuses pistes de réflexions. En effet, les tortionnaires sont souvent des gens ordinaires. Comment bascule-t-on vers l’horreur ?
« Le nazisme a catalysé chez certains spécimens d’humanité leur extraordinaire aptitude à l’inhumanité. Il nous pose sans cesse la question de savoir ce qu’est un homme, et ce qui le meut. »
Des photos du contenu de la boîte alternent avec le texte. Nous découvrons ainsi des clichés d’André Chaix avec sa fiancée, avec des amis, avec ses compagnons de Résistance, des affiches, des lettres manuscrites, une page du livre Le tour de la France par deux enfants…
Nous voyageons aussi dans cette période de la Seconde Guerre mondiale avec la vie qui continue sous d’autres formes avec des films comme Le Titanic, Les Enfants du paradis…, des artistes qui exercent leur métier, une rencontre qui aurait été possible avec Henri Pierre Roché, qui a commencé à écrire Jules et Jim à Dieulefit en mars 1941 et qui était un ami de Pablo Picasso et de bien d’autres personnalités de l’époque.
Hervé Le Tellier montre bien son admiration pour la personne d’André Chaix, ce jeune résistant qui a sacrifié sa vie pour la liberté de la France. Tous les totalitarismes sont à combattre et ce texte met bien en évidence la vigilance que nous devons garder face aux menaces qui reviennent en force dans différentes parties du monde. L’écriture d’Hervé Le Tellier, tout en délicatesse, porte une parole essentielle.
Brigitte Aubonnet
(24/05/24)
