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Guillaume GUÉRAUD


Plus de morts que de vivants




Le récit, dont le cadre est un collège de Marseille la veille des vacances de février, commence tranquillement, puis en quelques pages, la machine se dérègle. Des élèves perdent leurs dents par poignée ou des touffes entières de cheveux, d'autres se trouvent atteints d'inextinguibles saignements de nez, de malaises et de vomissements. Des personnels d'encadrement un peu plus tard présentent des symptômes de même nature.

Dépassé par les événements et soucieux du respect des règles administratives, le directeur de l'établissement, après avoir appelé des ambulances pour assurer le transfert des premières victimes à l'hôpital, alerte le rectorat et le sollicite pour connaître les consignes à appliquer face à un événement de cette ordre. À l'autre bout du fil on peine à comprendre ses propos et à y apporter crédit.

Pendant ce temps les cas se diversifient et se multiplient : une élève est atteinte d'hypertrophie fulgurante jusqu'à explosion des organes internes, un autre voit sa langue enfler et sa mâchoire se séparer en deux, et les adolescent assistent en direct à l'effondrement de l'un de leurs camarades dont tous les os ont éclaté simultanément... Dans le collège confiné c'est la panique et le chaos : cantine, hall, couloirs, cour, gymnase pourtant si familiers deviennent objets de toutes les méfiances.

Le virus frappe et tue de manière si fulgurante que les élèves l'appellent "la foudre", certains l'assimilant à une intervention surnaturelle voire à une punition divine.
« Rien ne les différenciait désormais. Maigres ou costauds, jeunes ou vieux, filles ou garçons. Tous égaux devant la mort. Les plus vaillants ne pesaient pas plus lourd que les autres. La mort se foutait aussi bien de leur poids que de leur taille. La mort se foutait même de savoir qu’elle était beaucoup trop prématurée pour eux. La mort les englobait tous sans distinction. À croire que tout être vivant en valait finalement un autre. »
Face à l'urgence, le directeur requiert la présence de médecins, infirmiers et pompiers  pour s'occuper des victimes et mettre simultanément en place des mesures d'urgence contre la contagion. 

L'affaire peut alors être considérée comme assez grave pour relever des bureaux de l’Éducation nationale, du ministère de la santé, des autorités sanitaires, du préfet... qui se doivent d'assurer la sécurité publique.
Toute première décision : le collège sera mis en quarantaine et cerné par les forces de police chargées d'en bloquer toutes les issues. Pendant ce temps, des échantillons prélevés sur les victimes seront confiés aux meilleures équipes scientifiques. À elles d'identifier au plus vite ce virus foudroyant (ou cette bactérie) et de déterminer les agents et conditions qui en permettent l'éventuelle propagation mettant en péril  la population.

Les autorités demandent aussi, bien évidemment, à tous le plus grand silence sur le drame pour éviter la psychose collective. Un vœu pieux, devant l'impossibilité de contrôler les divers messages envoyés par les lycéens de leurs portables, l'horreur de la situation n'a pu échapper bien longtemps aux parents qui se massent inquiets et de plus en plus nombreux devant les grilles, générant un vent de panique que les gardiens de l'ordre ont bien du mal à endiguer. D'autant qu'ils sont assez vite rejoints par des journalistes, des micros et des caméras à l’affût du moindre mouvement et de toute nouvelle fraîche. 
« Le bouche-à-oreille fonctionnait en tout cas à plein tube. Relayant les événements dans le désordre et la cacophonie. De ceux qui avaient vu à ceux qui n'avaient pas vu. De ceux qui avaient entendu à ceux qui n'avaient pas entendu. De ceux qui savaient à ceux qui voulaient savoir. Et tout le monde voulait savoir. »

Par sécurité et pour ne pas gêner les secours, il sera ensuite décidé de neutraliser l'ensemble du périmètre jouxtant l'établissement et d'évacuer tous les habitants du quartier.
Le but est d'éviter la pandémie et non de se focaliser sur le collège et ses ressortissants déjà considérés comme condamnés.  L'ordre est donc donné d'abattre tout fuyard qui tenterait de déserter l'établissement mettant l'ensemble de la population en danger.      

Dans le collège condamné à un huis clos terrifiant l'épidémie, confrontée à l'incompréhension et l'impuissance  des secours, continue à se propager sans faiblir. Bientôt le chiffre des victimes supplante celui des survivants…
Parmi eux, on suit le parcours de quelques lycéens en particulier. Des garçons et filles terrorisés, immergés dans un enfer où la mort frappe aveuglément et sans logique apparente ceux qu'elle rencontre, qui vont se prendre seuls en main pour tenter d'échapper à cet enfer où ils n'ont pas l'intention de se laisser engloutir...

Plus de morts que de vivants marque le retour de Guillaume Guéraud au fantastique gore des films d'horreur dans lequel il s’était illustré avec brio dans Déroute sauvage où un groupe d'adolescents en voyage scolaire vivait  un cauchemar type Massacre à la tronçonneuse.
Les meilleurs ingrédients du genre se trouvent ici réunis : un huis clos familier aux adolescents et dont ils connaissent tous les codes (le collège), un ennemi non identifiable et violemment meurtrier qui s'y infiltre, des morts affreuses et spectaculaires à foison.
On se trouve ici face à un livre-catastrophe hallucinant et fascinant, qui égraine un véritable catalogue des destructions imaginables (de préférences monstrueuses et brutales) du jeune corps sain d'innocents adolescents avec des descriptions d'une efficacité dans l'horreur assez remarquable.  Jamais ici la tension n'est en défaut.

Face aux scènes sanglantes volontairement irréalistes car portées à leur paroxysme s'impose le réel des lieux et du fonctionnement scolaires et, surtout, celui des rapports et communications des diverses autorités académiques, scientifiques ou politiques. Sans oublier le flot continu des médias. Ainsi, le nom même d'ISOLA (pour Infection Spontanée de l'Organisme avec Lésions Anarchiques) donné au virus par les scientifiques du roman n'est pas sans faire écho à l'épidémie actuelle d'Ébola qui ravage l'Afrique dans l'indifférence générale. Et cette violence légale et officielle, administrative, sociale et étatique, si elle est d'une autre nature n'en est pas moins réelle et criminelle. C’est une véritable machine de guerre anti-citoyenne qui s'active sous nos yeux et le choix sciemment fait, avec fermeté et sans préoccupations humanitaires, d'éliminer ceux qui pourraient mettre en péril la sécurité et les affaires de la République, (fut-ce des adolescents ou des malades),  renvoie inévitablement aux pires pages de notre histoire écrites à l'encre du fascisme.  
Sous couvert d'un scénario de divertissement où la violence outrancière des images de sang et de mort  (finalement assez proches de celles de certains récits épiques de Chrétien de Troyes où la cervelle giclait quand les combattants se pourfendaient de part en part) font plus sourire le public auquel le livre s'adresse qu'elles ne l'impressionnent, où l'angoisse produite n'est qu'un jeu pour se faire peur, c'est ailleurs qu'il faut chercher le sujet et le sens de ce roman. Dans le tableau de cette société ultralibérale, sécuritaire et marchande, ennemi caché contre lequel l'auteur fait charge sans ménagement. Il fait alors virer le rire au jaune pour alerter les jeunes lecteurs sur les dérives actuelles d'un pouvoir qui sacrifie l'humain à ses ambitions et peut-être les pousser à résister et à s'engager dans une autre voie...  

L'autre dimension fort appréciable de ce roman qui ne prend pas les adolescents pour des archétypes ou des consommateurs idiots, c'est, derrière les conversations des jeunes entre eux ou avec d'autres par l’intermédiaire de leurs portables, la mise en mots des rapports de force qui régissent la communauté collégienne, des sentiments qui les animent avec les doutes et complexes des uns face au jeu de séduction des autres, avec les manques et les angoisses avec lesquels chacun tente de se construire. On trouvera ici des caïds, des frimeurs, des timides, des trouillards, des égoïstes, des idéalistes, des débrouillards, presque tous amoureux ou rêvant de l'être, mais, parmi ces êtres ordinaires bien que confrontés ici à l'exceptionnel, parmi ces autres qui nous ressemblent, aucun n'endossera le costume du héros. Chacun restera à sa place de victime plus ou moins chanceuse, plus ou moins apte à se battre contre cette fatalité qui semble les condamner tous.

Guillaume Guéraud, avec ses parodies cinématographiques qu'il nourrit de l'intérieur par de vrais personnages, qu'il porte avec un style fait d'images fortes (comme l’association de la neige et du sang pour marquer la différence entre le concept de vie et celui de mort), de phrases courtes et d'un rythme soutenu, conjugue avec perfection humour, jeu, émotion et interrogations sur le monde.

Les romans de Guillaume Guéraud, originaux et atypiques, s'ils sont qualifiés souvent de violents et provocateurs le sont à la façon de Charlie Hebdo, dans le rire et l'outrance, sans complaisance ni effet de mode, par envie, besoin, d'ouvrir les yeux des lecteurs sur les dérives de notre société.
En cela, ils parient sur l'intelligence de leur lectorat et tiennent une place majeure dans la littérature proposée aux adolescents et aux jeunes adultes. A chacun, ensuite, de s'en emparer, ou pas.
À recommander fortement.

Dominique Baillon-Lalande 
(19/05/15)    



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Jeunesse









Le Rouergue

Collection doado
(Mars 2015)
288 pages - 13,70 €







Guillaume Guéraud,
né à Bordeaux en 1972,
est l'auteur d'une trentaine de livres, essentiellement pour la jeunesse.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia




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