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Marie SIZUN

La gouvernante suédoise



« De petits nuages blancs flottent dans le ciel qui semble encore d’été. Il y a comme un air de bonheur alentour, dans la fraîcheur des rives, l'éclat de la rivière, le sourire des passagers, et les dernières paroles de Livia. On dirait que le temps a bien voulu, un moment encore, s'arrêter. »

La narratrice se souvient que, toute petite, elle accompagnait sa mère à Meudon pour se recueillir sur la tombe de la famille maternelle, les Sézeneau. La concession remontait à 1877, date de la mort de la grand-mère de sa mère, suédoise, décédé toute jeune à vingt-sept ans, trois mois après la naissance de son cinquième enfant. Cette histoire la touchait, l'intriguait mais le temps, la vie... La petite fille avait bien écouté aussi, mais d'une oreille distraite par le divorce de ses parents, les commentaires que sa grand-tante Alice, "la dernière-née de la jeune morte" se plaisait à rabâcher sur les photos des siens "collées dans de gros albums".
Deux mots échappés à Tante Alice avaient mis la puce à l’oreille de cette petite fille pourtant bien préoccupée par sa propre vie. Un nom en fait, celui de la gouvernante suédoise des cinq enfants Sézeneau. Le prénom Livia qui évoquait forcément pour la fillette une femme jeune et belle et surtout son nom de famille qui l’avait fait sursauter : le même que le sien !

Des années plus tard, alors que la faucheuse la prive des témoignages des contemporains de cette histoire, pour comprendre comment Hulda, la jeune morte de vingt-sept ans et sa compatriote du même âge qu'elle, gouvernante des enfants, Livia Bergvist, sont en fait ses deux arrière-grands-mères, la narratrice, à partir de quelques photos, quelques lettres et le journal intime d’Hulda, va rebâtir l'histoire de ces deux femmes qui ont vécu sous le même toit, se sont aimées et ont aimé le même homme..
« Les faits, dans leur banalité, je les connais : ce n'est pas le plus intéressant. Ce que je voudrais comprendre, c'est la manière dont tout cela est arrivé, pénétrer ce mystérieux tégument de hasards, de désirs et de rêves dont se font nos vies et dont on sent le frémissement à travers ces photos et les pages de ce journal. »

Un très beau roman qui met en lumière une histoire familiale complexe et secrète dont les amours, malgré le poids des conventions du XIXe siècle, bouleversent souverainement le fleuve apparemment tranquille d'une famille des plus bourgeoises.
« Outre la voix des corps qui se retrouvent et parlent le muet langage des sens, arrivent entre les amants des paroles surprenantes [...] comme si, échappant à leurs personnages respectifs, ils se découvraient sans masque, dans leur véritable nature. [...] Aucun immoralisme, mais un paisible amoralisme : ce qu'ils font, ce qu'ils vivent ensemble, leur est simplement naturel, étranger à la notion de péché, ou même de ce qui est bien ou mal, et leur procure le plus grand bonheur. »

Ah comme on aimerait redonner chair comme le fait ici Marie Sizun à ceux qui ne peuplent plus aujourd'hui que notre propre album familial, ce cimetière pourtant bruissant de la vie d'autrefois. Ah ressusciter ceux que l'on voit naître, grandir, vieillir en quelques poses. Si jeunes et si pleins de vie sur quelques clichés et enterrés depuis longtemps. Mais pour cela, on le sait, il faut retrouver le temps perdu comme le fait la narratrice qui, par le truchement de l’artifice, de la fiction, redonne vie aux chers disparus.

Sylvie Lansade 
(26/09/16)    



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Lectures








Éditions Arléa

(Août 2016)
320 pages – 20 €







Photo © Louis Monier
Marie Sizun
a été enseignante de lettres classiques à Paris, en Allemagne et en Belgique. Elle vit à Paris depuis 2001. Elle a reçu
le Grand prix littéraire
des lectrices de Elle pour
La Femme de l’Allemand.


Bio-bibliographie
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