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Antoine CHOPLIN

Quelques jours dans la vie de Tomas Kusar


Nous sommes en Tchécoslovaquie dans les années 70-80.
Tomas Kusar est un jeune homme qui travaille en gare de Trutnov comme atteleur, en rêvant de devenir un jour mécanicien pour voir du pays et surtout conduire ces machines qui le fascinent depuis l'enfance. En dehors de son travail et de la fraternité virile de l'équipe, le taiseux s'adonne à de longues promenades en forêt souvent armé du vieux Rolleiflex 6x6 négocié il y a plus de 20 ans auprès d'un brocanteur de Jičín.
Lors de la fête annuelle des cheminots, une troupe ambulante de Prague donne ici pour la première fois, avant le bal qu'ils attendent tous, une représentation théâtrale en plein air. Il pleut et l'alcool qui coule à flot rend les hommes plus enclins à la grivoiserie et la bagarre qu'à  suivre la pièce. Les comédiens incapables de jouer en étant sans cesse interpellés par le public abrègent leur spectacle et le discret Tomas, qui s'est embrouillé avec un collègue passablement ivre jusqu'à la bagarre, tourne aussi les talons. Quand il va marcher plus loin pour se calmer, il retrouve près de leur roulotte les saltimbanques qui l'invitent à partager leur repas et leur soirée. Parmi eux se trouve l'auteur du spectacle nommé Václav Havel avec lequel il sympathise et échange longuement. Chacun repart ensuite de son côoté.

Quand on propose à Tomas la place du garde-barrière avec l'opportunité d'occuper la petite maison de fonction près de la forêt, il n'hésite pas une seconde. C'est à cette période qu'il noue une relation régulière avec Lenka Panenkova, employée à l'approvisionnement en petit matériel de l'entreprise ferroviaire. Quand le cheminot inspecte les voies alentour comme il en a la fonction, ce n'est jamais sans son Rolleiflex pour photographier les arbres en bordure. Lors de sa relâche du soir, il va régulièrement à la brasserie de la place, retrouver autour d'une bière ses anciens collègues et Lenka ou  jouer aux échecs.

C'est là que le hasard lui fait retrouver Václav Havel recruté pour quelques semaines à la brasserie.
Une solide amitié se noue entre les deux hommes qui partagent parties d’échecs, discussions et bières.
Mais la fréquentation même discrète de Václav Havel s'avère dangereuse car cet opposant au régime politique et défenseur des droits de l'homme est étroitement surveillé par la police. La rupture avec Lenka, la saisie de son laboratoire de développement photographique et la profonde complicité qui le lie à Vaclav changeront le destin de Tomas. Il finira par suivre l'écrivain contestataire dans la maison de campagne, à Hrádeček au nord-est de Prague, qu'il partage avec Olga, une comédienne, et par faire siens ses combats. Il y restera aux côtés d'Olga quand son mari se retrouvera derrière les barreaux et ce jusqu'à l'accession de cette figure de proue de la Révolution de velours au poste de président.

 

C'est avec un grand bonheur que l'on retrouve ici l'univers sensible et humaniste d'Antoine Choplin. Comme La nuit tombée, L'impasse et Incendie (coécrit avec Hubert Mingarelli), ce roman se passe à l'Est, mais cette fois dans un pays nommé et en lien avec son histoire politique. Comme il s'en est fait une spécialité, à partir du personnage de Tomas, un homme ordinaire, simple, candide et humble, c'est d'amitié, d'engagement, de résistance et de solidarité que l'auteur nous parle. Sans omettre également le détour par l'art (écriture, rock’n’roll, photographie)  symbolisant cette part de rêves et d'espoirs indispensable à l'homme pour refuser la violence et la soumission.

Ce qui est nouveau c'est la façon dont l'auteur intègre ici un personnage historique réel, Václav Havel, comme moteur même du roman, ce qui n'était que partiellement le cas de Pablo Picasso dans Le héron de Guernica. Le récit, s'il croise une fois encore petite et grande histoire, le fait de façon plus précise avec une exactitude minutieuse quant au parcours du héros de la Révolution de velours. On y retrouve ainsi mention des éléments clefs de la lutte par les mots de Václav Havel (lettre de 1975 à Gustáv Husák, tracts, mais aussi écriture théâtrale) et les étapes, prison comprise, qui ont jalonné sa route vers la présidence.
Peut-être faut-il y voir une concordance entre la volonté du fervent démocrate qui a lutté contre la résignation des individus face à la confiscation du pouvoir dont  ils étaient l'objet pour leur opposer la force de la résistance morale et de la vie avec les convictions personnelles de l'auteur ? À moins que ce ne soit l'admiration pour la combinaison assez peu fréquente chez cette figure de l'écriture artistique et de l'action politique qui permette cette appropriation quasi intime de ce personnage public par Antoine Choplin ?

Quoi qu'il en soit, ce livre  marqué au sceau de la simplicité, la poésie, la nature, la lenteur, l'écriture en creux et les silences, est une pure réussite.  Et le lecteur n'est pas près d'oublier ce roman lumineux empreint de force et de profondeur.
À lire absolument, et deux fois si possible, la première pour la découverte et la deuxième pour le pur plaisir d'y revenir.

Dominique Baillon-Lalande 
(05/01/17)    



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La fosse aux ours
(janvier 2017)
140 pages - 18 €







Antoine Choplin,
né en 1962, vit dans l'Isère. Depuis 1993, il a publié une quinzaine de livres dont certains ont été repris en collections de poche.







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La manifestation


L'impasse


Cour Nord


Le héron de Guernica


La nuit tombée


Les gouffres


Une forêt d'arbres creux




Avec Hubert Mingarelli :
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